« Je me suis imaginé métis, antillais ou africain visitant notre ville et découvrant les plaques aux noms d’auteurs de ces crimes contre l’humanité, sans explication : je me suis senti blessé et meurtri à cette idée. Le silence ou une parole trop timide, voire juste ponctuelle selon le cours de l’actualité, sont une forme de « complicité implicite » sur ces crimes, à minima, et ce silence est de nature à perpétuer et légitimer le racisme systémique et quotidien.»
A l’attention de Mr Jean-François FOUNTAINE Maire
de La Rochelle
Monsieur le Maire,
Né et habitant à La Rochelle, j’ai eu l’opportunité ce 15 août 2020 de suivre la visite de la ville proposée par Monsieur Karfa Diallo sur
le commerce triangulaire à La Rochelle, de 1594 à 1848.
Monsieur Diallo est, comme vous le savez sûrement, fondateur de l’association bordelaise Mémoires et Partages.
Grâce à cette visite, la mise en lumière des traces visibles de la traite négrière dans nos rues fait émerger une nécessité : celle de la mémoire, de la reconnaissance de ce passé, afin de ne pas laisser dans le silence ces événements, sources fondatrices du racisme quotidien et systémique auxquels nos sociétés sont confrontées de nos jours. L’actualité regorge d’exemples effarants.
Ce devoir de mémoire existe à La Rochelle pour la deuxième guerre mondiale : monuments commémoratifs (la gare pour les déportations, près du casino,…), plaques de rues avec explications (rue Léonce Vieljeux, par exemple), actions pédagogiques auprès des scolaires, etc.
La richesse iconographique et filmographique nourrit et illustre ces actions contre l’oubli, afin d’éviter un bégaiement de l’Histoire et de lutter contre toutes les formes de racisme ou de discrimination basée sur la différence. Pourquoi ne pas adopter la même position concernant la traite négrière ?
Les villes de Nantes et Bordeaux ont engagé des politiques locales sur ce devoir de mémoire. Loin de stigmatiser ces villes (et nuire au tourisme), ces politiques ont au contraire été célébrées, reconnues et permettent aujourd’hui de comprendre les sources du racisme moderne, en assumant la réalité factuelle et incontestable de ce crime contre l’humanité.
Ces actions sont un atout incroyable, au contraire, renforçant l’attractivité de ces villes au niveau culturel et social.
Mon souhait le plus ardent sur ce sujet, en tant que citoyen rochelais, est de voir le maire de notre magnifique ville engager une politique, sinon identique, du moins concrète, durable et complète sur ce terrain.
C’est pourquoi je souhaite l’adoption de mesures dont le symbole n’échappera à personne :
1/ Débaptiser le square Rasteau (plus
important négrier rochelais) : LE symbole fort, une plaque débaptisée.
2/ Ajouter des explications sur les
plaques de rues portant le nom des personnages emblématiques de la Traite et
recontextualisant la présence du monument dédiés aux colons rochelais en Côte
d’Ivoire (connu comme le monument « aux éléphants », place de Verdun)
Votre engagement à la fonction de maire, j’en suis convaincu, est motivé par des motivations nobles ; vous êtes un humaniste, pragmatique certes, mais la dimension sociale est très présente dans votre action. C’est cette fibre humaniste que je souhaite toucher. La politique est avant tout une histoire de personnalité, de volonté, de courage ; vous n’en manquez pas.
Même si j’ai vu peu d’actions concrètes de la part du délégué aux Droits de l’Homme de votre ancienne équipe municipale, je pense que cet engagement (dont le coût financier serait quasi symbolique)
aurait un impact médiatique positif, dépassant largement les remparts de notre ville.
Il suffit, pour s’en convaincre, de constater la richesse des échanges qu’entretiennent aujourd’hui Bordeaux et Nantes avec tous les pays concernés par ces faits historiques. Monsieur Ayrault bénéficie aujourd’hui d’une aura internationale grâce à son action sur le sujet. Malgré les freins de Monsieur Juppé, Bordeaux est aujourd’hui au diapason de sa sœur nantaise avec de nombreuses actions : l’actualité brulante sur le racisme implique des prises de position claires, engagées.
La Rochelle a fait partie des trois plus importantes places du commerce triangulaire en France. Je serais, comme beaucoup, très fier qu’elle rejoigne les villes qui font de cette reconnaissance affichée, un atout, une force concrète pour lutter aujourd’hui sur le terrain du racisme. L’image de notre ville et sa notoriété n’en seraient que renforcées.
Le regretté Bernard Giraudeau, issu lui-même d’une famille ayant pratiqué la Traite à La Rochelle, avait apporté sa pierre dans ce travail de mémoire avec le talent qui était le sien en réalisant notamment le film « Les caprices d’un fleuve ».
Vous laisseriez dans l’histoire aussi l’image d’un maire courageux, ne s’étant pas contenté de lever simplement un coin du voile obscur de notre histoire locale. En effet, la plaque minimaliste dédiée à Aimé Césaire ou les panneaux explicatifs du Vieux-Port sont loin de ce qui est possible de réaliser sans budget démesuré.
Les commentaires des circuits de visite à l’Office de Tourisme sont aussi particulièrement discrets sur ces 400 bateaux ayant déporté plus de 130 000 êtres humains.
Il ne s’agit pas de repentance et de culpabilisation, mais de contribuer à reconnaître le passé afin de contribuer à un idéal que j’appellerais la « concorde universelle » : une avancée vers le respect et l’égalité entre les femmes et les hommes.
C’est aussi une nécessité pédagogique pour la population : donner une réalité autre que le discours trop convenu de la part de nombreux politiques : « la paix, c’est bien, le racisme c’est mal » pour schématiser l’absence de portée de simples paroles. De simples prises de position orales ne suffisent plus.
Les citoyens réfléchissent et les consciences s’éveillent. Ne soyons pas dans le wagon de queue à La Rochelle : vous êtes visionnaire avec l’action pour un développement durable ; l’urgence existe aussi pour le respect entre les êtres humains.
Je me suis imaginé métis, antillais ou africain visitant notre ville et découvrant les plaques aux noms d’auteurs de ces crimes contre l’humanité, sans explication : je me suis senti blessé et meurtri à cette idée. Le silence ou une parole trop timide, voire juste ponctuelle selon le cours de l’actualité, sont une forme de « complicité implicite » sur ces crimes, à minima, et ce silence est de nature à perpétuer et légitimer le racisme systémique et quotidien.
3 réponses
Formidable lettre qui préconise le devoir de mémoire pour ce qui a existé, aussi innommable qu’il a pu être ! Un grand pays s’anoblit en reconnaissant ses erreurs ! La France est un grand pays !
Très belle lettre de votre lecteur. Beaucoup de traces de cette période funeste. Beaucoup de ces funestes souvenirs doivent disparaître. Mais pas tous. Il faut en laisser mais une note explicative devrait absolument figurer à côté du monument préservé. Le souvenir doit rester présent sous les yeux de chacun
Bonjour. Lettre équilibrée pour une demande légitime. Quelle réponse vous a été faite s’il vous plaît ? FV.