Mouvement d’éducation populaire à la mémoire partagée depuis 1998

BORDEAUX – BAYONNE – DAKAR – LA ROCHELLE – LE HAVRE – PARIS

CENTENAIRE – « Commémorer c’est bien mais veiller sur son corps, c’est mieux »

TRIBUNE – Une des richesses, paradoxales, les plus fragiles de la grande guerre et les plus précieuses aussi, c’est l’idée de la paix. La nécessité de la République.

Nulle part, ni en Occident et encore moins en Afrique, on ne saurait se suffire et se rassurer de monuments, de discours et de commémoration qui fonderaient d’autorité la paix, le respect et la démocratie.

La coïncidence entre la clôture du centenaire de la grande guerre et le 80e anniversaire de « la nuit de cristal », funeste nuit où la barbarie fasciste et antisémite s’abat sur l’Europe, autorise des parallèles dans les leçons que l’histoire de la violence politique nous enseigne.

Des plantations esclavagistes aux camps de migrants en passant par les camps de concentration nazis, c’est la répétition tragique et criminelle de la peur, de l’égoïsme et de la haine. Les actes antisémites augmentent. Les bavures policières frappent sans discontinuer les jeunes originaires d’Afrique. La couleur noire reste un fardeau partout dans le monde.

Chaque acte de racisme est une attaque contre la démocratie. Contre la paix.

Les phases de régression ou de pathologie que portent les guerres mondiales ne se comprennent pour être soignées que dans la multiplicité de pratiques mémorielles qui puisent dans l’imagination et l’inventivité des artistes et acteurs sociaux.

Le sacrifice contraint de cette jeunesse du monde, qui s’est affrontée par la décision de généraux et de politiciens en quête de gloire, appelle une mécanique humaniste qui se nourrit de la  liberté d’entreprendre de nouvelles formes et, plus avant, l’audace de changer la politique.

En s’investissant dans ce Centenaire de la grande guerre, l’’association internationale Mémoires & Partages a voulu épouser ces exigences.

Deux grandes expositions, itinérantes sur tout le territoire national, labellisées par la Mission 14-18, des conférences, des interventions scolaires, des campagnes nationales et des visites-guidées ont permis de mettre en pratique ces convictions qui nous animent.

L’exaltation des héritages à partager tout autant que l’exhumation de vies essentielles mais oubliées et ignorées, permet de croiser les expériences et les engagements d’un empire colonial dont les séquelles continuent d’interroger notre présent.

Et où mieux qu’à Bordeaux pouvions-nous expérimenter ce laboratoire d’une mémoire partagée de la violence coloniale.

Terre de vignobles, de grands vents, grands commerces et grands départs, Bordeaux est aussi le refuge controversé d’une République menacée à trois reprises (1871-1914-1940). Elysée, Matignon et parlements s’installent pour quelques mois dans une ville, où ils sont très vite rejoints par des centaines de bataillons de tirailleurs des colonies (Algériens, Antillais, Indochinois, Kanak, Malgaches, Marocains, Sénégalais) qui débarquent sur les quais et dans les gares. L’arrivée des cargos militaires américains en 1917 achève de faire de notre ville un lieu remarquable de la mémoire de ce premier conflit mondial.

Cent ans après le début de cette première guerre, il était temps de sortir de l’oubli ces soldats gisants à Bordeaux qui ont associé pour le pire leur vie et leur mort au destin d’une  patrie lointaine et chimérique. Il était temps surtout de les réunir avec tous leurs Frères d’âme, ceux que ni les statuts, ni les bombardements, ni les mitrailleuses n’ont réussi à séparer.

Grâce à cette optique croisée, nous avons cherché à partager les héritages de cette rencontre brutale pour le XXIe siècle. La fonction pédagogique repose donc dans la volonté de faire connaître cet héritage matériel et immatériel dans son impact sur les progrès de civilisation et sur les valeurs universelles à promouvoir pour les générations futures.

Fruits d’un imaginaire et d’une conscience reliés à la condition des hommes au-delà des statuts, ce travail de mémoire s’articule autour de personnages et de communautés ayant marqué l’histoire singulière de cette première guerre mondiale.

Avec Frères d’âme, héritages croisés de la grande guerre, les quatorze panneaux structurent une exposition inédite qui croise les parcours, dans la guerre et dans la paix, de personnalités et d’anonymes plongés dans un conflit qui va transformer leurs existences et leurs mondes. Des personnalités politiques, deux poètes bordelais et le fondateur juif du «bateau-soupe», premier restaurant du cœur, côtoient des soldats de l’Empire colonial (Algériens, Antillais, Indochinois, Kanak, Malgache), un lieutenant noir américain et pianiste précurseur du jazz en Europe mais aussi une femme accompagnatrice de spahi. Réunis dans les chants de poètes d’hier et d’aujourd’hui, ces frères retrouvent le chemin d’une mémoire partagée.

Avec le Mémorial des Tirailleurs Naufragés, c’est le sort des victimes de la plus grande catastrophe maritime française qui est retracée par l’exposition. Colonisés et ostracisés sur leurs propres terres mais requis ou volontaires pour une guerre si loin de chez eux, miraculés des meurtrières tranchées de Verdun, ce sont de jeunes hommes de 20-25 ans qui montent, ce 9 janvier 1920, sur les quais des Chartrons de Bordeaux, à bord du paquebot Afrique, indifférents à l’entrepont nauséabond où ils sont entassés, hébétés d’en être revenu, impatients de retrouver leurs foyers et de demander des comptes de justice, d’égalité et d’indépendance.

Morts pour la France, ignorés de tous, ces tirailleurs gisent toujours au fond de l’Océan.Le pire c’est l’oubli du sacrifice dont les filles et les fils d’Afrique ont été contraints. Le pire c’est le mépris.

Ces travaux font le pari d’une mémoire consciente, vigilante et offensive mais réconciliée. Pour que la dignité nationale se nourrisse des « armes miraculeuses », de l’acceptation et du dialogue fécond entre nos ombres et nos lumières. Une juste mémoire peut participer à l’intégration comme à combattre les stéréotypes.

La guerre et la haine continuent de roder aux lisières de nos nations. La mémoire close, fermée sur elle-même, continue de prétendre raconter l’histoire des vainqueurs « omniscients et naïfs ».

Nous demandons que tous les citoyens du monde, élèvent par tous les moyens possibles, une œuvre permanente et quotidienne contre les murailles de l’oubli, de l’égoisme et de la haine dont le projet est de « nous accommoder au pire, de nous habituer à l’insupportable, de nous faire fréquenter, en silence, jusqu’au risque de la complicité, l’inadmissible. »

Karfa Sira Diallo

Fondateur-directeur de Mémoires & Partages

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