« Le saccage de cette statue en 2016 montre la précarité de nos idéaux et les menaces qui pèsent sur nos libertés… »
En présence des élus de la ville de Pau s’est tenue la cérémonie de célébration du premier décret de l’égalité républicaine.
Cette initiative, co-organisée entre l’association paloise BeAfrica et Mémoires & Partages, s’est déroulée le 30 septembre à 11h devant le monument « L’Esclavage » du Parc Beaumont.
Ont pris la parole Mr Jean Lacoste, Adjoint au Maire de Pau, Mr Jean-Yves Lalanne, maire de Billère et Mr Melaine Poda, président de Beafrica. Mr Olvier Dartigolles, conseiller municipal du Parti Communiste a également marqué de sa présence la cérémonie.
Discours du 30 septembre,
Mesdames, Messieurs, Monsieur l’Adjoint au maire, Mesdames, Messieurs les élus,
En choisissant de dédier cette cérémonie solennelle à l’Egalité républicaine telle que proclamée par le décret du 28 septembre 1791, nous avons voulu célébrer une valeur républicaine souvent malmenée par l’histoire de France mais aussi marquer notre vigilance quant au respect et à la considération envers les victimes et les résistants qu’une culture forgée par les hommes a prétendu ravaler à un statut inférieur.
Aujourd’hui encore, des millions de personnes se voient refuser leurs droits fondamentaux et n’ont pas accès à l’éducation, aux services de santé, à la justice et à l’emploi. Et en France et dans le monde, des centaines de milliers de personnes sont exploités, asservis, prostitués, mis en esclavage. Au nom de la force et du pouvoir, au mépris de la loi et de la morale.
Comme pour le commerce et l’esclavage des africains du 15ème au 19ème siècle, c’est l’argument de la force tolérée, ignorée voire justifiée par la loi qui sert d’arme de domination et d’asservissement.
Jamais défaits, jamais soumis, leurs descendants avancent avec confiance et détermination vers un avenir meilleur qui préserve, promeut et respecte la pluralité et la différence.
Cette différence qu’Haïti (ancienne St-Domingue) a été le premier à garantir en lançant sa révolution le 23 aout 1791 au Cap-Français. Nous savons combien cette révolte fut déterminante dans le combat pour l’universalisation des droits humains. La convention ne s’y trompera pas qui, dès le 28 septembre de la même année, décidera de l’égalité générale sur le sol français. Ce decret stipulant, pour la première fois, que « Tout homme est libre en France, et que, quelle que soit sa couleur, il y jouit de tous les droits de citoyen, s’il a les qualités prescrites par la Constitution. » (Décret du 28 septembre 1791)
Haïti à qui notre région doit tant, Haïti principale destination des navires bordelais, Haïti, la perle des Antilles, la colonie la plus riche d’Amérique, Haiti vit, vit dans nos cœurs, dans nos corps et dans nos esprits. Dans l’attente que la France restitue à ce pays la dette de liberté qu’elle l’a obligé à acquitter pour le prix de sa liberté.
Mesdames et Messieurs,
Il est impossible de commémorer le souvenir de cette tragédie, de ce combat pour la liberté, en oubliant le ressac qu’une actualité triste et accablante déverse sur nos consciences.
Le saccage, le 26 décembre 2016, de cette statue que votre municipalité a érigée en 2006, lors de la 1e journée nationale de commémoration de l’abolition de l’esclavage, montre la précarité de nos idéaux et les menaces qui pèsent sur nos libertés.
Qu’au 21e siècle, des individus, portés par la haine ou par l’idéologie, s’introduisent, nuitamment dans ce magnifique parc, pour salir cette œuvre de mémoire et de reconnaissance et la recouvrir de l’insigne « nazi », démontre combien « le ventre de la bête est fécond » pour paraphraser le dramaturge Bertold Brecht.
« Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte».
Ce jugement terrible d’Aimé Césaire vaut pour la France qui s’est acclimatée de l’injustice pendant quatre siècles. Il vaut pour les palois qui sont passés indifférents, moqueurs, méprisants ou dégoûtés, à coté de cette statue spoliée de sa dignité. Il vaut pour tous ceux qui ont fait mine de ne pas voir cette part d’humanité défigurée au cœur d’une ville éprise de justice et de reconnaissance.
L’honneur de Pau est d’avoir gravé le souvenir de ce crime contre l’humanité comme un avertissement à tous ceux qui ont été, sont et qui seraient tentés de nuancer, de contester ou de nier la souffrance des hommes qu’on assimilait à des animaux. Non pour faire de leurs descendants des victimes mais pour montrer que leurs protestations ont enfin été entendues, que leur indignation a enfin trouvé les voies de la conscience collective.
Ils ont droit à la reconnaissance de Pau, à la reconnaissance de la France.
C’est en pensant à eux que j’appelle une réflexion sur tous les monuments qui, dans notre pays, rappellent de façon ambiguë ce moment douloureux de l’histoire coloniale.
A chaque fois, en effet, que l’ont fait ou que l’on laisse faire de l’homme quelque chose d’absolument différent de soi, on manque à la dignité humaine.
A chaque fois que l’on décide pour l’autre ce qu’il doit être, qui il doit côtoyer, qui il doit aimer, on manque à la dignité humaine.
A chaque fois, enfin, que l’on hiérarchise les civilisations et qu’on veut laisser croire que le niveau de développement économique traduit une supériorité culturelle et morale, on manque à la dignité humaine.
Le souvenir que nous commémorons éloigne l’humanité du pire et le conduit vers le meilleur.
Le pire ce sont les millions d’hommes expropriés de leur liberté et de leur dignité.
Le meilleur c’est un pays qui s’enrichit de ses différences, fier de son identité riche et multiple, qui considère son passé avec lucidité, qui rappelle que ses lumières sont parfois environnés d’ombre, que ses héros ont dû parfois vaincre ses laches pour redonner à chaque fois à la République le visage éclatant de la justice.
Je vous remercie
Karfa Diallo, fondateur-directeur de Mémoires & Partages