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TRIBUNE – QUE LA JUSTICE SE SAISISSE DE L’OUTRAGE RACISTE DE ROKHAYA DIALLO PAR CHARLIE HEBDO !

Nous n’aurons même pas droit à la trêve de Noel !

L’histoire nous a tellement habitués à des images outrageantes instrumentalisant des femmes noires pour servir de prétendues guerres idéologiques, qu’on pourrait se dire que finalement rien de nouveau dans l’ignoble caricature de Charlie Hebdo dessinant Rokhaya Diallo sous les traits de Joséphine Baker.

Comme pour Christiane Taubira, dépeinte en « singe » en 2015, Danièle Obono en « esclave » en 2020, « la négresse » caricaturée sur les murs de Biarritz depuis le 19e siècle, le dernier dessein de Charlie Hebdo croquant Rokhaya Diallo en danseuse de la Revue nègre du début du 20e siècle est d’une abjecte essentialisation.

A part la couleur de peau, quelle continuité Charlie croit-il indiquer entre Joséphine Baker, une icône noire intégrée au panthéon des valeurs mondiales et une jeune femme noire d’aujourd’hui engagée ?

C’est une fracture. Un abîme. D’un côté, la célébration neutralisée d’un corps noir devenu inoffensif parce qu’historicisé ; de l’autre, la mise en scène humiliante d’un corps noir encore parlant, encore pensant, encore dérangeant.

Charlie Hebdo est devenu un sale journal. Je pense qu’il est temps de le dire sans ciller. Au risque d’être poursuivi pour blasphème républicain.

Ce dessin n’est donc nullement une énième maladresse, mais une violence. Non un trait d’esprit, mais un trait de fracture. Il est fondamentalement raciste. Il faut mettre à nu sa vérité juridique et morale : celle d’un acte qui excède la polémique pour troubler l’ordre public et offenser la conscience collective.

La loi, ici, ne tremble pas. Elle est droite, elle est claire. Elle dit que l’injure racialisée n’est pas un jeu, qu’elle est un délit, qu’elle blesse non seulement l’individu visé mais l’ensemble du corps social. Elle dit que l’histoire, lorsqu’elle est convoquée pour humilier, cesse d’être mémoire pour devenir arme.

C’est ce que les juges de la Cour d’appel de Paris avaient souligné, lorsque nous avons défendu comme partie civile, la députée Danièle Obono dont l’image a été dégradée par le Journal Valeurs Actuelles en 2020, « si les autres épisodes placent les personnages dans des situations humoristiques ou flatteuses, seul le personnage de Mme Obono se retrouve dans une succession de situations humiliantes, traitées de façon particulièrement réaliste. »

Car ce qui est convoqué dans cette nouvelle illustration, ce n’est pas une femme singulière, mais une foule de spectres. Ce sont les corps enchaînés, les cris étouffés dans les cales, les vies broyées par la traite et l’esclavage.

C’est la longue nuit de l’Apartheid que l’on feint d’ignorer tout en en recyclant les images les plus sordides d’une Joséphine Baker obligée pour survivre à la ségrégation d’utiliser les clichés occidentaux sur les scènes parisiennes pour mieux les combattre par la suite. Humilier une femme noire en la travestissant en objet sexuel, c’est insulter la mémoire de millions d’êtres humains rayés de l’humanité et de millions d’autres encore sous les fers de la stigmatisation raciale.

Et qu’on ne s’y trompe pas : en s’attaquant ainsi à une journaliste, à une femme engagée dans la cité, on s’attaque à tous, on s’en prend à toutes celles qui, malgré les intimidations, osent encore prendre la parole, occuper l’espace public, refuser l’effacement.
Il n’existe pas de neutralité du dessin. Il n’existe pas d’innocence du choix. Faire cette couverture, c’est faire dessein — dessein de rabaisser, de provoquer, de jouir de la blessure infligée.

Et cela, aujourd’hui, ne peut être excusé ni par l’ignorance ni par la feinte naïveté. Le monde brûle encore des noms de George Floyd, de Jacob Blake, et de tant d’autres. Les rues du monde grondent d’une même exigence : dignité. Il n’y a plus d’abri pour les lâchetés maquillées en audace.

Quand ceux qui produisent ces images crient à la censure, ce n’est pas la liberté qu’ils défendent, mais leur droit à l’impunité. Ils invoquent une liberté de presse qu’ils défigurent, une liberté de création qu’ils réduisent à la complaisance avec les vieux réflexes de domination.

Je le dis avec force : le racisme n’est pas une opinion. La haine publique n’est pas un droit. Les mots, les images, les symboles ont des conséquences. Ils façonnent des regards, légitiment des violences, préparent des passages à l’acte.

C’est pourquoi aucune complaisance n’est possible. Aucune neutralité n’est permise. Il revient à la justice de se saisir de cette affaire, non par esprit de vengeance, mais par fidélité aux principes fondamentaux qui fondent la communauté humaine.

Car là où la dignité est bafouée, la loi doit parler. Et là où l’histoire est piétinée, la mémoire doit se lever.

Karfa DIALLO

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