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« TROU NOIR » AU CAPC BORDEAUX – « Les ancêtres ne sont pas de vulgaires marchandises, des fétiches inertes que l’on jette sur un marché de l’art avide de nouveaux produits »

TRIBUNE – Invités par le Musée d’Art contemporain de Bordeaux, Véronique Clette-Galuba et Olivier Marboeuf, chercheurs et activistes ont tenu à préciser leur refus de l’instrumentalisation de leur parole par l’institution dont le travail de mémoire sur l’esclavage est critiqué.

Afin d’introduire cette table ronde où nous allons parler d’archives minoritaires, de visibilité institutionnelle et de régénération des luttes, nous aimerions évoquer les conditions de notre présence ici, en tant que personnes noires investies dans les luttes décoloniales et anti-racistes dans les marges des mondes de la culture et de l’université.

Nous sommes bien conscient·es que lorsqu’une institution nous invite loin de chez nous, c’est bien souvent à la place d’autres figures locales minoritaires. Et donc que la mise en avant de notre parole et de notre présence s’inscrivent dans un geste qui, en même temps, invisibilise et pacifie certaines conflictualités et débats locaux.

Avant donc de prendre la décision de venir parler ici, nous avons fait l’effort de comprendre où nous venions et quels étaient les enjeux de ce lieu pour les communautés noires, quelles étaient les histoires courtes et les histoires longues qui le traversaient ? Quels étaient les fantômes qui nous obligaient comme toute véritable archive nous oblige et nous impose ses conditions d’accueil, de reprise, de circulation.

Aussi, nous parlons aujourd’hui ici au CAPC à Bordeaux en pleine conscience que nous sommes dans les anciens entrepôts Lainé qui sont liés à l’économie de l’esclavage et du commerce triangulaire plus particulièrement.

Il nous semble nécessaire d’être précis sur les faits et sur leur violence organisée, ici à Bordeaux et dans la colonie Saint-Domingue car aujourd’hui Haïti paie encore cette violence.

Ici comme ailleurs, dans d’autres lieux culturels et institutions, nous savons que nous ne sommes jamais les premièr·es à parler.

Et nous parlons notamment aujourd’hui à la suite de l’association bordelaise Mémoires Et Partages qui a fait la demande qu’une plaque mémorielle permanente soit apposée ici afin que tout visiteur y entrant, tout artiste et toute personne y travaillant prenne intimement connaissance et conscience de son histoire, des fantômes qui le hantent, des ancêtres qui y parlent.

Car les ancêtres ne sont pas de vulgaires marchandises, des fétiches inertes que l’on jette sur un marché de l’art avide de nouveaux produits. Ce ne sont pas des monnaies d’échange car iels ne nous appartiennent pas. Iels pourraient bien nous demander des comptes, au contraire, car ce sont des existences en relation avec les nôtres, sous certaines conditions. 

En somme, les ancêtres nous obligent comme les archives obligent, de manière discrète, intime et parfois violente. Iels nous obligent à poursuivre leur histoire, à maintenir leur puissance. Et, en l’occurence, en tant que Noir.es héritièr.es d’une longue histoire de disqualification, d’effacement et de mise à mort lente, nous avons l’habitude dans le contexte des villes européennes de faire face à l’”absence” de ceux qui nous précèdent – non pas leur absence réelle mais leur absence fabriquée au sein des institutions.

Nous savons que les scènes dans lesquelles nous nous retrouvons, leur composition, sont toujours plus larges et étendues – elles sont plus peuplées – que ce qu’on ne croit. Outre les présences physiques, elles comptent les voix disqualifiées qui sont passées avant nous et elles comptent aussi les âmes errantes de nos ancêtres qui nous demandent des choses.

Notons que si les morts nous obligent, c’est parce que, le plus souvent, ce sont des morts “laissés sans sépulture” dont il s’agit, comme le souligne Nathalie Etoke. Ces morts-là agissent avec une présence insistante dans le monde.  

Nous sommes venu·es donc à la condition de porter à votre connaissance une attente à laquelle nous nous associons.

Nous sommes venu·es pour honorer les nôtres, leur donner de la force et parler à la suite de celles et ceux qui ont parlé et continuent d’essayer de se faire entendre ici.

C’est dans ce lieu que nous parlons et que sommes parlé·es.

Véronique Clette-Galuba, enseignante

Olivier Marboeuf, auteur

Pour lire la suite de cette conversation : Gâcher la fête : pour une archive minoritaire ingouvernable

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