Originaire d’Haïti, descendant d’esclavisés africains, Gustave Louis Rochemont, « Loulou » pour ses amis, électricien de métier, officiait en 1931 à l’usine de papeterie CENPA de Bègles où il s’investissait dans diverses activités syndicales à la CGTU, avant que l’histoire fasciste de la France ne lui ôte définitivement la vie à 37 ans.
Marié à une Béglaise qui tenait le bar « Chez Loulou », militant communiste, conscient des héritages de résistance que ses ancêtres haïtiens ont semé dans la révolution de Saint-Domingue à qui Bordeaux et sa région doivent tant, Louis Rochemont rédige Le cri de la CENPA et se fait remarquer par la police en distribuant le journal L’Humanité dans les rues de Bègles, à deux pas d’une Ville de Bordeaux envahie par la VIIe armée allemande dès le 29 juin 1940.
En raison de sa position géographique stratégique, Bordeaux était la deuxième plus grande ville de France en zone occupée après Paris. Son aéroport et surtout son port qui permet à l’armée allemande un accès privilégié à l’Atlantique, à l’empire colonial africain et son estuaire girondin est une porte d’entrée potentielle pour les opérations alliées.
« Le quartier allemand » est aussitôt installé autour du Fort du Hâ, (prison depuis 15e siècle et actuel Palais de Justice), qui, après avoir servi de « dépôt de noirs » pendant la période esclavagiste du 18e siècle, devient l’un des plus importants centres de détention, d’interrogatoire et de torture où des milliers de résistants, juifs et tziganes seront internés avant leur exécution ou leur déportation vers les camps de concentration et d’extermination.
Dès 1941, dans le quartier Bacalan, au nord de Bordeaux, les nazis réquisitionnent des prisonniers Nord-Africains, des Républicains Espagnols et des ouvriers Français pour la construction de la Base Sous-Marine afin d’abriter sa flotte de guerre et ses liaisons maritimes au sein de cet énorme bunker.
Dans la lignée idéologique de la collaboration décidée par le Maréchal Pétain, le maire de Bordeaux, Adrien Marquet, et la Préfecture de Gironde, incitent les citoyens à collaborer avec l’occupant nazi. Communistes et syndicalistes, par leur organisation matérielle et idéologique, deviennent des cibles privilégiées de la police de Vichy qui lance une traque sans merci
C’est dans ce contexte que l’haïtien Loulou est dénoncé comme membre du parti communiste clandestin et raflé le 10 décembre 1940 à Bègles. Interné au 24 quai de Bacalan puis au camp de Mérignac-Beaudésert, il est conduit dans le terrible Camp de Souge.
Malgré la répression, probablement que, comme nombre de ses camarades, il a participé à la résistance qui commençait à s’organiser par des actes de rébellion, la distribution de tract, le recrutement, la collecte d’information et d’armes.
Toujours est-il que les archives des auditions connues de son employeur et de la préfecture, révèlent l’atmosphère de délation et de répression édifiante de cette époque où être Noir, Communiste, Syndicaliste et Résistant en Occident constituait une intersection de préjugés et de discriminations aux lourdes et définitives conséquences.
Le directeur de la CENPA de Bègles, qui l’employait, affirme que Rochemont : « professait des opinions nettement communistes… À mon avis Rochemont peut être considéré comme un élément fauteur de troubles (…). J’ajoute qu’à aucun prix je ne reprendrai dans mon usine le nommé Rochemont en raison de ses opinions politiques ».
Pendant que le Préfet prévenait la Feldkommandantur, le 28 février 1941 : « Sa tranquillité actuelle n’est qu’une apparence trompeuse derrière laquelle se cache un militant convaincu et compétent…Il se livrerait au Centre de séjour à une « propagande révolutionnaire »
Accablé par les enquêtes à charge de la police de Vichy, Louis Rochemont, malgré les suppliques de sa femme au Préfet, n’aura aucune chance et sera fusillé le 24 octobre 1941, onze mois après son arrestation, dans le Camp militaire de Souge.
Son corps sera retrouvé parmi ceux des cinquante et un fusillés de 1941 dans ce Camp militaire de 2 800 hectares (à cheval sur les communes de Martignas sur Jalle, Saint-Jean-d’Illac et Saint-Médard) dont les Allemands feront un des principaux lieux d’exécution des résistants girondins.
Si on perd la trace de « Loulou » à partir de cette terrible fusillade, on sait que ce sinistre Camp continuera d’abriter le théâtre tragique et macabre des plus importantes fusillades de masse de la seconde guerre mondiale.
Selon le recensement de l’association du Souvenir des fusillés de Souge, 256 résistants patriotes provenant d’une zone allant de Poitiers à Bayonne ont été passés par les armes durant la Seconde Guerre mondiale dans ce camp qui détient le sinistre record d’être ainsi le deuxième lieu de fusillade en France, près le Mont Valérien.
Une rue de Bègles porte le nom de Louis Rochemont et il figure sur le Monument aux Morts de Martignas-sur-Jalles et sur les plaques commémoratives du Camp de Souge.
Souvenons-nous de « Loulou » !
KARFA DIALLO
(1) « Les 256 de Souge – Fusillés De 1940 à 1944 » . Comité du Souvenir des Fusillés de Souge, septembre 2014, Éditions Le Bord de l’eau. 25 euros.
Une réponse
Cette poignante et significative histoire pourrait faire un beau film de manière à la faire mieux connaître du grand public