Mouvement d’éducation populaire à la mémoire partagée depuis 1998

BORDEAUX – BAYONNE – DAKAR – LA ROCHELLE – LE HAVRE – PARIS

DISPARITION DE MARYSE CONDE – La romancière des ravages de l’esclavage transatlantique

Morte dans la nuit du 1 au 2 avril 2024, la guadeloupéenne a marqué la mémoire de l’esclavage.

Son œuvre est colossale, tout comme son parcours de vie. Romancière à succès, elle a écrit pas moins de 70 livres, de la pièce de théâtre aux essais, en passant par les œuvres pour enfants. L’auteure Maryse Condé est décédée dans la nuit du lundi 1er au mardi 2 avril 2024, à l’hôpital. Écrivaine, mais aussi professeure et journaliste, la Guadeloupéenne a fait de sa vie une épopée mouvementée, rythmée par ses nombreux voyages en Afrique de l’Ouest et aux États-Unis. Dans son œuvre, Maryse Condé aborde inlassablement l’esclavage, le colonialisme, l’identité, la maternité.

Née le 11 février 1934 à Pointe-à-Pitre, Maryse Condé est la benjamine d’une famille de huit enfants. Selon ses mots, elle grandit en Guadeloupe dans un « milieu d’embryon de bourgeoisie noire ». Sa mère, Jeanne Quidal, était l’une des premières institutrices noires de sa génération, tandis que son père, Auguste Boucolon, a fondé ce qui deviendra la Banque Antillaise en 1955.

Très jeune, Maryse Condé s’intéresse à la littérature. « Mon père commandait des livres de littérature française […]. Lui ne les lisait pas, mais mon frère et moi, on coupait les pages et on lisait. Petits, on a été imprégnés de littérature et de culture française », racontait la romancière guadeloupéenne sur France Culture en 2018.

Maryse Condé passe sa jeunesse dans une Guadeloupe encore très coloniale, ce qui pousse la future romancière à quitter son île, en quête de réponse sur son identité et ses origines.

Une « Guadeloupéenne indépendantiste »

En 1953, à 19 ans, Maryse Condé arrive seule à Paris. Elle commence son cursus au lycée Fénelon, puis intègre la prestigieuse École normale supérieure. La Guadeloupéenne subit du racisme sans en comprendre le fondement. C’est à ce moment-là qu’elle se rend compte de sa couleur de peau et de sa condition de femme noire. Maryse Condé se plonge dans la lecture. La future autrice découvre la négritude du Martiniquais Aimé Césaire et les récits anticolonialistes du psychiatre et philosophe Frantz Fanon, lui aussi Martiniquais.

Maryse Condé se radicalise : la « Guadeloupéenne indépendantiste », comme elle se définissait, est née. Elle fréquente de plus en plus des foyers africains où se retrouvent des militants antiracistes. En parallèle, elle publie ses premiers écrits, dont Le Rêve exotique en peinture, un essai dans lequel elle pose une réflexion sur la « créolité ». L’auteure guadeloupéenne commence aussi sa carrière de journaliste en publiant des articles pour une revue chrétienne d’Outre-mer.

Départ pour l’Afrique

Maryse Condé tombe enceinte de Jean Dominique, son premier amour. Dès l’annonce de sa grossesse, l’étudiant haïtien l’abandonne et retourne dans son pays. Maryse Condé dit être sortie de cette épreuve « écorchée vive ». « Je restais seule à Paris, ne parvenant pas à croire qu’un homme m’avait abandonnée avec un ventre », écrit-elle dans La Vie sans fards. La maternité et l’abandon resteront des thèmes récurrents dans l’œuvre de Maryse Condé. De cette grossesse nait le premier fils de la romancière, Denis.

Plus tard, elle fait la rencontre de Mamadou Condé, un acteur guinéen qu’elle admire, connu pour avoir joué le rôle engagé d’Archibald dans la pièce Les Nègres de Jean Genet. Le couple se marie à Paris en 1958 : Maryse Boucolon devient Maryse Condé. Elle donne naissance à trois filles, Sylvie-Anne en 1960, Aïcha en 1961 et Leïla en 1963.

Un an après son mariage, la Guadeloupéenne décide de partir en Afrique, une terre qui lui semblait « éloignée d’[elle]-même ». Maryse Condé arrive en Côte d’Ivoire pour être professeure de français dans un lycée. Puis, elle rejoint son mari à Conakry en Guinée, en 1961, période où le pays s’embrase et réclame son indépendance. Ce moment exaltant l’inspire : elle rédige alors son premier roman, Heremakhonon, qui revient sur ses désillusions dans la Guinée de Sékou Touré.

Elle part ensuite au Ghana. En février 1966, le coup d’état militaire d’Accra renverse le régime politique en place. Soupçonnée d’espionnage – son passeport guinéen la rend suspecte – Maryse Condé est expulsée. L’autrice de Ségou fait un court séjour en prison avant de s’envoler pour Londres avec ses quatre enfants. Là-bas, elle reprend sa casquette de journaliste pour travailler à la BBC Afrique.

Un mariage sur fond de malentendu

Son union avec le comédien Mamadou Condé ne durera pas. Ce mariage est même vécu comme un échec pour Maryse Condé. La romancière constate un « malentendu » sur la personnalité du comédien. « Quand je l’ai épousé, il était Archibald dans Les Nègres. Il avait un rôle qui ne correspondait pas à ce qu’il était vraiment. Finalement, j’ai épousé une sorte de masque », détaillait-elle dans un entretien avec Françoise Pfaff.

Après son passage à Londres, Maryse Condé retourne une nouvelle fois en Afrique, au Sénégal. Elle travaille comme traductrice à l’Institut américain de développement économique et dans un lycée. Là-bas, elle rencontre Richard Philcox, un professeur d’anglais. Il devient son second époux en 1981.

À la conquête de l’Amérique

L’année de ses 36 ans, en 1970, Maryse Condé quitte le continent africain. L’autrice guadeloupéenne confie ses enfants à Mamadou, avec lequel elle est toujours mariée, et retourne à Paris.

J’en avais vraiment marre de l’Afrique. Trop de coups durs. Je me voyais en train de stagner dans des postes médiocres et des maisons de fonction délabrées avec tous ces enfants qui commençaient à grandir. Il ne semblait n’y avoir ni issue, ni avenir.Maryse Condé, entretien avec Françoise Pfaff (1993)

Elle poursuit son œuvre, influencée par son vécu en Afrique et le passé colonial qui relie l’Europe, l’Afrique et l’Amérique : le roman Moi, Tituba, sorcière… Noire de Salem, qui a reçu deux prix littéraires, replonge le lecteur dans les États-Unis du 17e siècle, alors que son best-seller Ségou raconte l’Afrique qui bascule dans la colonisation.

Après être retournée sur son île natale, elle s’installe aux États-Unis en 1979 pour y faire des reportages. Maryse Condé va finalement enseigner Outre-Atlantique, d’abord à l’université de Californie, à Santa Barbara et Los Angeles, puis à l’université Columbia, où elle fonde le Centre des études françaises et francophones. La Guadeloupéenne décide de prendre sa retraite universitaire en 2002.

Hommages et consécration

De retour dans l’Hexagone, Maryse Condé préside le comité pour la mémoire de l’esclavage créé en 2004, après l’adoption de la loi Taubira, qui reconnaît l’esclavage comme un crime contre l’humanité. En 2019, la romancière guadeloupéenne reçoit la Grand-Croix de l’ordre national du Mérite des mains du président Emmanuel Macron.

Pour des raisons de santé, la romancière s’exile à Gordes, un petit village du Vaucluse, dans le sud de l’Hexagone, avec Richard Philcox. Elle écrit le Fabuleux et triste destin d’Ivan et Ivana depuis chez elle, en dictant le roman à son mari. À 87 ans, Maryse Condé publie L’Évangile du nouveau monde, son dernier roman, en 2021.

Pour son œuvre foisonnante, l’autrice guadeloupéenne a reçu en 2018 le prix Nobel « alternatif » de littérature lors d’une cérémonie à Stockholm. Ces dernières années, les hommages à Maryse Condé se sont multipliés : deux journées lui ont été consacrées au Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM) à Marseille, un lycée de région parisienne a décidé de se rebaptiser avec son nom… Le nom de Maryse Condé est aussi associé à un prix littéraire depuis 2001.

En Guadeloupe, Maryse Condé n’a pas toujours été reconnue comme un monument de la littérature, ce qui l’affectait. Depuis, son œuvre est enseignée dans les écoles guadeloupéennes. Lorsqu’elle retourne sur son île en 2018, récompensée par le prix Nobel, l’autrice est reçue comme une véritable icône. « Je suis heureuse, simplement, bêtement, naïvement. Heureuse et aussi fière pour le pays. C’est d’abord la Guadeloupe. C’est pour elle que j’ai travaillé, pour elle que je suis récompensée », disait-elle.

Le 27 mars 2024, quelques jours avant sa mort, la ville de Pointe-à-Pitre a fait installer une plaque sur la façade de la maison de son enfance. On peut y lire : « Ici est née l’auteure guadeloupéenne Maryse Condé, le 11 février 1934, un jour de carnaval. »

Article de la 1ère Mort de l’écrivaine Maryse Condé à 90 ans : retour sur sa vie sans fards – Outre-mer la 1ère (francetvinfo.fr)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *