Né en 1973, le CAPC Musée d’art contemporain de Bordeaux, qui a remplacé l’Entrepôt réel des denrées coloniales créée 24 ans avant l’abolition officielle de l’esclavage, célèbre son 50e anniversaire cette année. Visiteur régulier de ce musée et animateur de conférences sur son histoire, j’y suis encore retourné récemment pour constater que nul ne s’émeuve que rien en son sein n’y vient rappeler l’épisode terrible du crime contre l’humanité à l’origine de sa création. Et cela m’a permis de produire cette tribune sur Mediapart : Capc Bordeaux – 50 ans de déni de la mémoire d’un crime contre l’humanité | Le Club (mediapart.fr)
A Monsieur le Maire de Bordeaux
à Madame la Directrice du CAPC
Bordeaux, 7 septembre 2023
Monsieur le Maire,
Madame la Directrice,
Né en 1973, le CAPC Musée d’art contemporain de Bordeaux, qui a remplacé l’Entrepôt réel des denrées coloniales créée 24 ans avant l’abolition officielle de l’esclavage, célèbre son 50e anniversaire cette année. Visiteur régulier de ce musée et animateur de conférences sur son histoire, j’y suis encore retourné récemment pour constater que nul ne s’émeuve que rien en son sein n’y vient rappeler l’épisode terrible du crime contre l’humanité à l’origine de sa création. Et cela m’a permis de produire cette tribune sur Mediapart : Capc Bordeaux – 50 ans de déni de la mémoire d’un crime contre l’humanité | Le Club (mediapart.fr)
Je m’adresse donc à vous pour plaider en faveur de la création d’un espace mémoriel dédié à l’esclavage au sein de ce Musée. Cette proposition vise à honorer la mémoire des millions d’hommes, de femmes et d’enfants dont l’asservissement et la déshumanisation ont permis la production des « denrées coloniales » ayant entrainé l’édification de l’unique entrepôt de cette taille en France.
A l’époque où Bordeaux était « l’entrepôt de l’Europe », ses négociants, conscients de l’opportunité géographique que leur procurait la situation de leur port, avaient su dynamiser leur funeste commerce fondé sur « le bois d’ébène » en offrant aux navires anglais, hollandais et danois des infrastructures indispensables pour soulager leurs expéditions d’un voyage long et périlleux sur l’océan. Et nul ne pourrait comprendre les immenses volumes de l’actuel CAPC sans savoir que les marchandises coloniales, produites dans le contexte du dogme raciste et esclavagiste, n’étaient pas seulement destinées à la consommation locale mais à toute l’Europe, notamment du Nord.
Néanmoins, la description qu’en donne le site internet officiel du CAPC, qui est supposée avoir une visée pédagogique, est d’un euphémisme qui semble attester de la pérennité d’une idéologie aussi insane que préjudiciable. Il est assez effarant qu’il ait pu être maintenu jusqu’à ce jour : aucun responsable n’a donc un minimum de recul critique pour évaluer la désinformation insidieuse qu’il constitue, au mépris des récents et positifs développements du travail de mémoire sur l’esclavage à Bordeaux ?
En usant de mots insignifiants comme « négoce », « main d’œuvre », « récoltés à bon compte », le CAPC dévitalise la charge politique et mémorielle du sujet, omet de dire que l’activité coloniale qui a fait une bonne part de la prospérité de Bordeaux est un crime contre l’humanité et que c’est le racisme, conséquence idéologique du commerce des noirs, qui est à l’origine de sa propre création et d’une bonne partie de l’opulence de la ville.
L’institution d’art contemporain semble encore établir une mémoire oublieuse, parcellaire et partielle, en rayant tout un pan de l’histoire, la réalité de l’exploitation, de l’esclavage, de la colonisation et du racisme, dont l’un des décors est l’entrepôt de denrées coloniales. Un lieu de recel de produits issus d’un crime contre l’humanité dont l’histoire officielle transmise par le musée d’art contemporain ne garde que l’aspect commercial et économique en omettant délibérément le côté humain et douloureux.
Ces 50 ans du CAPC, bien plus que l’espérance de vie des esclaves sur les plantations (10 ans pour les Bossales à 40 ans max pour les Créoles), auraient dû être une occasion importante de représentation artistique contemporaine susceptible de commémorer les souffrances passées tout en éduquant les générations futures sur cette sombre période de l’histoire.
Un espace mémoriel sur l’esclavage au sein du CAPC serait un lieu de réflexion, d’éducation et de commémoration, un rappel constant de l’importance de lutter contre le racisme, la discrimination et l’injustice sous toutes ses formes. Cela permettrait également de sensibiliser les générations actuelles et futures à l’impact durable de l’esclavage sur les inégalités sociales et économiques qui persistent encore aujourd’hui. Cet espace pourrait prendre plusieurs formes : sculptures, bancs, éléments naturels et plaques commémoratives.
L’actualité des produits jadis entreposés au CAPC, nés de l’entreprise colonialiste aux origines de l’extractivisme capitalistique, peut ainsi être l’occasion d’un discours critique sur les phénomènes d’exploitation, de mépris des droits humains, de saccage de l’environnement, tout autant que sur la société de consommation et les addictions sanitaires que posent le sucre, le tabac, etc.
Et enfin l’implication de la communauté locale, en particulier les acteurs de la mémoire et les descendants d’esclavisé.e.s, dans la conception et la réalisation de l’espace mémoriel peut garantir une narration multiple et que les perspectives et les expériences des personnes concernées soient correctement représentées.
Mes remarques ne sont pas d’oiseuses chicanes. Elles soulèvent la question capitale du respect d’un crime contre l’humanité. La représentation artistique, même d’art conceptuel, de l’histoire d’un entrepôt né d’un crime contre l’humanité doit être sensible, respectueuse et précise. L’objectif doit être de reconnaitre de façon explicite les conditions particulières de l’édification du lieu, de rendre hommage aux victimes de l’esclavage, d’éduquer le public et de promouvoir la réflexion sur les injustices passées et présentes.
Elles ne plaident pas pour une quelconque repentance, mais pour la rigueur historique que la mémoire collective se doit à elle-même et aux générations futures.
Raison pour laquelle je me permets de vous prier, Monsieur le Maire et Madame la directrice du CAPC, de remplacer par un texte plus digne l’explication de l’histoire de l’établissement que vous dirigez et de décider de l’érection d’un espace mémoriel auquel nous serions honorés de participer.
Vous remerciant pour votre attention et disponible pour en discuter avec vous, je vous prie d’agréer mes salutations distinguées.
Karfa DIALLO
Fondateur-Directeur de Mémoires & Partages
Lire la tribune entière sur Médiapart ici : Capc Bordeaux – 50 ans de déni de la mémoire d’un crime contre l’humanité | Le Club (mediapart.fr)
CONTRE-VISITE DES ENTREPOTS LAINÉ – Rendez-vous le 23 septembre 2023 devant le CAPC – Quiz pédagogique : 10h – 12h et de 14h à 16h
5 réponses
Etant venu m’installer à Bordeaux des États Unis, puis Paris, en 1972 pendant l’organisation préliminaire du CAPC et faisant don de ma collection de catalogues du MOMA à la future bibliothèque, je n’ai jamais entendu parlé des réelles origines des Entrepôts Lainé pendant ce temps…. je me suis toujours dit « que c’est un bâtiment énorme pour pour stocker du produce »! C’est des années plus tard que j’ai compris l’origine du travail pour ces produits entreposés et la j’étais encore plus étonnée que personne me n’avais parlé des esclaves qui ont enrichis beaucoup des négociants qui ont construit cette belle ville de Bordeaux.
Bravo pour votre proposition d’un lieu de memoire associé au CAPC … je suis sûr que des artistes représenté au CAPC depuis 50 ans seront fiers de cette initiative!
Artiste franco-américaine vivant à Bordeaux depuis 15 ans, je connaissais les « faits » historiques de l’Entrepôt Lainé tels qu’ils sont donnés dans le descriptif du CAPC. Mais ce n’est que depuis que j’ai rencontré l’Association Mémoires et Partages que je commence à en prendre la mesure. Je pense, donc, qu’un espace mémorial dans l’enceinte du Musée pourrait beaucoup aider le public, en l’occurrence les artistes, à mieux saisir l’histoire de ces lieux. M. Diallo nous propose un projet de dialogue qui, à mon avis, est une opportunité à ne pas manquer … Ellen Carenbauer-Hazera
P.S. J’ajoute que je trouve que la démarche d’inviter Kapwani Kiwanga pour l’installation en ce moment dans la nef du Musée peut aussi être comprise comme une ouverture à un tel dialogue … Ellen Carenbauer-Hazera
Bordeaux traine des deux pieds pour reconnaître cette phase si peu glorieuse de son histoire. Je suis allé récemment à Liverpool et ai visité le Musée de l’esclavage… Nos amis anglais n’ont pas peur, eux, d’avouer les crimes commis !