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BORDEAUX – BAYONNE – DAKAR – LA ROCHELLE – LE HAVRE – PARIS

TRIBUNE – Le traitement médiatique du Mois des Mémoires de l’Esclavage en Nouvelle Aquitaine par Héléna MFONKA 

Entre Mai et Juin, l’équipe de Mémoires & Partages a accueillie une étudiante en Lettres Parcours Renforcé Sciences Politiques. Une mission d’analyse de la médiatisation du Mois des mémoires de l’esclavage en Nouvelle-Aquitaine lui a été confiée. Mémoires & Partages félicite et remercie Héléna Mfonka pour sa contribution.

LE TRAITEMENT MEDIATIQUE DU MOIS DES MEMOIRES DE L’ESCLAVAGE EN NOUVELLE AQUITAINE

« Les mémoires des esclavages ne cherchent (…) pas à raviver les revendications ou les réclamations avant toutes choses. Dans le monde total qui nous est aujourd’hui imposé, la poétique du partage, de la différence consentie, de la solidarité des devenirs naturels et culturels (…) dans les diverses situations du monde, nous incline vers un rassemblement des mémoires, une convergence des générosités, une impétuosité de la connaissance, dont nous avons tous besoin, individus et communautés, d’où que nous soyons. Conjoindre les mémoires, les libérer les unes par les autres, c’est ouvrir les chemins de la Relation mondiale. », Edouard Glissant. 

La France depuis 2001, essaie justement d’ouvrir des chemins vers la paix et la réconciliation vis-à-vis de l’esclavage et de la traite négrière, ce qu’Edouard Glissant nomme la « Relation mondiale ». En effet, elle a instauré des journées commémoratives de l’abolition de l’esclavage, que la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage développera quelques années plus tard sous le nom de « Temps des Mémoires ». Pourtant, l’impétuosité de la connaissance de cette tragédie historique reste à redéfinir au travers d’un traitement médiatique juste et réparateur. Il serait ainsi pertinent de s’intéresser au traitement médiatique du Mois des Mémoires de l’Esclavage en Nouvelle-Aquitaine. 

Souvent choisi comme sujet par excellence, l’esclavage et la traite négrière sont des sujets abordés à plusieurs reprises sous différentes perspectives, outre cela, la couverture médiatique liée aux mémoires de l’esclavage, et même précisément au « Mois des Mémoires de l’Esclavage » est quant à elle un thème très peu voire pas du tout abordé dans les mémoires de recherches. D’où la nécessité de s’y interroger très fortement. Le traitement médiatique étant part importante d’un travail mémoriel durable et analeptique. 

Néanmoins, afin de répondre au sujet le mieux possible, il convient d’abord de définir ou redéfinir certaines notions. 

En premier lieu, interrogeons-nous sur l’expression « traitement médiatique » : qu’est-ce que le « traitement médiatique » ? Quels sont ses objectifs et ses revendications ? Pour cela, il est nécessaire de séparer distinctement les deux notions, « traitement » et « médiatique ». Arrêtons nous ensuite sur le terme « médiatique » qui découle lui-même de « médias ». 

Ainsi, rappelons ce que signifie « média » et les différents enjeux qu’il porte. Selon le dictionnaire Le Robert, un média est un moyen, technique et support de diffusion massive de l’information (presse, radio, télévision, cinéma). Ainsi, il existe quatre types de médias, qui peu importe leurs différences, partagent tous un point commun, celui d’être des organes de diffusion de l’information au service du bien commun : il s’agit de la presse, de la radio, de la télévision, de l’affichage et de l’internet. 

Les médiums sont à l’origine des biais de communication et d’information, cependant, aujourd’hui, ils s’apparentent davantage à des instruments de contrôle et de manipulation au service de la politique et de la justice. On va même jusqu’à parler de quatrième pouvoir pour les qualifier : leur influence est tellement considérable sur l’opinion publique, les idées et les comportements de la société, qu’ils portent à merveille le rôle de reproduction des stéréotypes. En 2023, comme depuis un long moment déjà, ils nous occupent quotidiennement : le matin avant d’aller travailler, le soir en rentrant à la maison, dans le tram, à la pause déjeuner, en balade sur les quais…Ils sont omniprésents. 

Nous en sommes tous devenus dépendants. La cause ? Leur trop grande accessibilité à tous publics. Évidemment, ne négligeons pas leur pouvoir institutionnel du fait de leur fonction pédagogique et éducative, néanmoins, notre dépendance accorde beaucoup trop d’importance aux médiums d’aujourd’hui alors encore douteux et en quête de profits et de bénéfices. Leur fonction première n’est plus simplement d’informer, mais de vendre. C’est pour cela qu’avant toute chose, je tiens à vous conseiller de prendre du recul avec les médias d’aujourd’hui et de demain qui ne répondent plus purement et simplement à des pratiques démocratiques mais également à des pratiques commerciales. 

La notion de « traitement » quant à elle, possède une première définition davantage appropriée au sujet qui induit l’idée de comportement à l’égard de quelqu’un ou de quelque chose. Une seconde définition tend à définir « traitement » comme l’ensemble des moyens employés pour guérir, et nous verrons plus tard dans nos recherches que cette définition n’est pas si éloignée de notre objet d’étude. Ainsi, l’expression « traitement médiatique » désigne la capacité d’un média à traiter et couvrir un événement. Elle peut s’apparenter au terme « couverture médiatique ». La couverture médiatique est importante, elle permet d’établir des liens durables, d’ancrer des idées et des comportements immuables dans la société.  

En deuxième lieu, il paraît judicieux de s’intéresser plus largement à la notion « Mois des Mémoires de l’Esclavage ». Qu’est-ce que l’on entend par cette appellation ? 

La Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage la définit tel un temps fort annuel de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage, à quoi je souhaiterais ajouter, « des municipalités et de la France entière ». Le Mois des Mémoires de l’Esclavage se déroule essentiellement au mois de mai pendant lequel des journées, des rendez-vous de commémorations nationales, locales et internationales sont organisés et proposés à tous ceux qui s’y sentent concernés. Afin de poursuivre avec justesse un travail de précisions, voici les dates commémoratives et mémorielles auxquelles fait référence cette formulation « Mois des Mémoires de l’Esclavage », réparties en fonction de leur échelle de commémoration : 

• Journées nationales  

10 mai : journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition23 mai : journée nationale à la mémoire des victimes de l’esclavage 

• Journées locales  

27 avril : commémoration de l’abolition de l’esclavage à Mayotte22 mai : commémoration de l’abolition de l’esclavage en Martinique27 mai : commémoration de l’abolition de l’esclavage en Guadeloupe28 mai : commémoration de l’abolition de l’esclavage à Saint-Martin10 juin : commémoration de l’abolition de l’esclavage en Guyane9 octobre : commémoration de l’abolition de l’esclavage à Saint-Barthélemy20 décembre : commémoration de l’abolition de l’esclavage à La Réunion 

• Journées internationales  

25 mars : journée internationale de commémoration des victimes de l’esclavage et de la traite transatlantique des esclaves 

23 août : journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition de l’UNESCO 

2 décembre : journée internationale pour l’abolition de l’esclavage de l’ONU. 

Après avoir défini « le Mois des Mémoires de l’Esclavage » il convient de rappeler plus amplement ce que ce sont les mémoires et plus encore ce qu’on entend par « esclavage » car le monde a connu — et connaît encore — une diversité d’esclavage, variant de géographie, d’ampleur, de populations, de techniques…

Les mémoires sont un souvenir d’événements vécus ou racontés par des individus ou des groupes dont la transmission est subjective, partielle et évolutive. Dans des termes plus simples, ce sont la conservation du passé. 

Pour ce qui est de l’esclavage tel qu’il est inscrit dans l’expression « Mois des Mémoires de l’Esclavage », il fait référence à l’esclavage de type colonial, conjointement au commerce triangulaire, la traite négrière/transatlantique, du milieu du XVe siècle jusqu’au XIXe siècle, touchant le continent africain et les Antilles. C’est de cet esclavage, à savoir «la plus grande tragédie de l’histoire humaine par sa durée et son ampleur » qui est commémoré. 

Enfin, arrêtons-nous sur la notion spatiale du sujet : « Nouvelle-Aquitaine ». La Nouvelle-Aquitaine est une région administrative française créée par la réforme territoriale de 2015. Elle regroupe en une seule région, la région Aquitaine, le Limousin et le Poitou-Charentes. Territoire de 84 100 km, la région Nouvelle-Aquitaine comprend douze départements. 

C’est à partir de ce territoire de la Nouvelle-Aquitaine que nous étudierons le Mois des Mémoires de l’Esclavage sous le joug médiatique. 

L’esclavage est un événement marqueur de l’Histoire du monde, que l’on ne peut assurément dissocier de l’Histoire de France. Il paraît donc essentiel que les médias s’emparent de cette tragédie historique mais plus encore des questions mémorielles et des commémorations associées, pour en faire un événement vivant et non plus une histoire communautaire mais globale. Nous nous interrogerons donc sur le traitement médiatique du Mois des Mémoires de l’Esclavage 2023 en Nouvelle-Aquitaine, et ce, au prisme de la question suivante : 

En quoi le traitement médiatique du Mois des Mémoires de l’Esclavage 2023 en  Nouvelle-Aquitaine est-il révélateur de la passivité de la société française à l’égard de cet  événement ? 

Nous baserons notre étude sur la période allant du 27 avril au 10 juin 2023, dans la région Nouvelle-Aquitaine, c’est-à-dire dans tous les territoires y faisant partie. Pour cela, nous nous questionnerons d’abord sur la signification d’un si faible traitement médiatique au regard de l’esclavage, de la traite négrière et de leurs mémoires. Puis, dans une perspective conscientisée nous traiterons du traitement médiatique au travers de son évolution vis-à vis de la question (et de ce que cela induit). 

PREMIÈRE PARTIE : UN TRAITEMENT MÉDIATIQUE FAIBLE QUI DIT  L’IGNORANCE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE AU REGARD DE L’ESCLAVAGE ET DE  LA TRAITE NÉGRIÈRE  

L’histoire de l’esclavage est une histoire commune, il paraît donc de prime abord évident que les médias soient les premiers à vouloir s’en emparer, surtout au moment du Mois des Mémoires de l’Esclavage. Pourtant, mes recherches démontrent le contraire : très peu de médias se sont saisis de la question et de l’événement en Nouvelle-Aquitaine et même au-delà. Pourquoi ?

Quelles sont les raisons de ce si faible traitement médiatique à l’égard d’un événement si important et significatif pour les communautés afrodescendantes, pour tous ? C’est autour de ces questionnements que nous allons développer notre première partie qui fera guise d’une potentielle réponse. 

1.1 Faible traitement médiatique : une politique de surface et d’apparence  

Il est facile de dire « faible traitement médiatique » sans en avoir des preuves formelles. Après de nombreuses recherches, j’ai pu établir une liste chiffrée d’articles traitant du Mois des Mémoires de l’Esclavages ou y faisant échos au travers une des commémorations ou des évènements culturels à visée mémorielle. La voici : 

1. Le Républicain, 4 mai 2023 : Animations à La Réole pour le 175eanniversaire de l’abolition de l’esclavage 

2. Sud-Ouest, 09 mai 2023 : Journées de la mémoire de l’esclavage à Bordeaux : les cinq rendez-vous à ne pas manquer du 10 au 23 mai 

3. France 3 Nouvelle-Aquitaine, 10 mai 2023 : Commémoration de l’abolition de l’esclavage : Bordeaux a-t-elle retrouvé sa mémoire ? 

4. Le Figaro, 10 mai 2023 : Bordeaux, ancien grand port négrier organise des « journées de la mémoire » jusqu’au 23 mai 

5. Aquitaine Online, 10 mai 2023 : Esclavage : journées de la mémoire à Bordeaux 

6. Sud-Ouest, 11 mai 2023 : Pourquoi l’abolition de l’esclavage est commémorée dans une cité scolaire de Périgueux

7. France Bleu La Rochelle, 10 mai 2023 : Comment intéresser les jeunes à la journée nationale des mémoires de l’esclavage et de son abolition ? (francebleu.fr)

7 manifestations médiatiques seulement dans un mois composé de 31 jours. N’est-
ce pas là une preuve de l’affirmation précédente ?

Ces articles sont pour la plupart à but strictement informatif ou récapitulatif : ils ne traitent pas en profondeur du sujet ou tout du moins en surface. À titre d’illustration, je donnerais pour exemple, l’article de Le Républicain « Animations à La Réole pour le 175e anniversaire de l’abolition de
l’esclavage » publié le 4 mai 2023 (ci-dessus).

Cet article débute par un chapeau explicatif introduisant les indicateurs spatio-temporels (« La Ville de La Réole », « du 5 au 24 mai 2023 »), les types d’événements auxquels s’attendre (« semaines des mémoires »), les raisons pour lesquelles ils sont organisés (« à l’occasion du 175e anniversaire de l’abolition de l’esclavage ») sans forcément les développer en profondeur.

Le premier paragraphe est une répétition du chapeau explicatif. Le deuxième paragraphe constitue une énumération simple et efficace de la programmation (« projection, débat, rencontre avec des auteurs, table ronde et brunch musical »), avec les acteurs (« la mairie ») et les figures emblématiques de notre
époque (« Anne-Marie Garat »). Le troisième paragraphe comprend les rendez-vous détaillés des activités proposées (date, heure, lieu) ainsi qu’une explication brève. Et ainsi de suite pour le quatrième, et le cinquième paragraphe qui constituent également des précisions sur la programmation. Tout au long de l’article, nous faisons face qu’à des informations utiles pour l’agenda, et non à un texte profond et analytique sur l’esclavage et la traite négrière, ou même une explication du Mois des Mémoires de l’Esclavage, de la commémoration du 10 mai…

De fait est, comme le représente cet article mais bien d’autres encore, c’est un traitement médiatique de surface.
Ainsi, ce faux-semblant n’est-il pas le miroir de la politique marconienne et du comportement d’Emmanuel Macron, président de la République française, à l’égard du Mois des Mémoires de l’Esclavage et plus encore vis-à-vis de l’esclavage et de la traite négrière ?

En effet, bien qu’au début de son mandat notre président avait affiché une certaine ambition de « réconcilier les mémoires nationales en s’affranchissant des vieux clivages selon une ligne mémorielle de commémoration, de restitution et de reconnaissance », sa présence fut écartée lors de la commémoration du 10 mai 2023, puisque représentée par Elisabeth Borne, elle-même transparente lors de la cérémonie au Jardin du Luxembourg à Paris.

Cette absence plus que visible, puis ce silence édifiant de la Première Ministre vient à nouveau questionner sur les fascinations marconiennes au regard de cet épisode douloureux du passé colonial français. Nous étions pourtant sur la bonne voie avec l’adoption de la loi Taubira en 2001. Néanmoins, les visions et évolutions changent suivant les mandats…

Loin de moi l’idée de vouloir dénigrer sauvagement les actes de notre président qui était présent et éloquent le 727 avril 2023 au Château de Joux lors de la commémoration de l’abolition de l’esclavage
en hommage à Toussaint Louverture. Toutefois, son absence a réveillé des questionnements profonds à ce sujet, tout en laissant sous-entendre une forme de refus d’admettre totalement la vérité historique de cette tragédie ; une forme de prise en charge partielle et non absolue des problématiques historiques et mémorielles liées à l’esclavage et la traite négrière. Puisque c’est de cela qu’il s’agit avec le Mois des Mémoires de l’Esclavage : c’est un mois pour commémorer, réparer, construire, ne pas oublier, faire
vivre ; c’est un mois en l’honneur des victimes parties comme des victimes vivantes qui peinent à se construire avec l’espoir un jour de la reconnaissance et de la réparation.

Ainsi, ma question est la suivante : comment voulez-vous que les médias s’intéressent en profondeur au Mois des Mémoires de l’Esclavage, quand, même le gouvernement, le chef de l’État, l’image symbolique de la France, enfin, Emmanuel Macron, ne s’y intéresse qu’en surface ? C’est demander aux médias un très gros effort, d’autant que nous l’avons rappelé, ils sont intimement liés au politique. C’est pourquoi,
nous faisons face un traitement médiatique qui suit une image nationale ambiguë.

1.2 Faible traitement médiatique : la méconnaissance de l’événement
« L’ignorance est la chose la mieux partagée au monde, qu’on soit noire, qu’on soit blanc… » Fanny Glissant.

Si nous faisons face à un traitement médiatique faible c’est probablement aussi dû à la méconnaissance de cet événement ou la connaissance incomplète de l’évènement dans sa globalité et même des commémorations nationales qui le composent telles que le 10 mai ou le 23 mai.. Bien évidemment, les médias ne peuvent pas se saisir d’un sujet dont ils ne connaissent même pas l’existence. Mais d’où provient cette méconnaissance ? C’est une question fondamentale à laquelle il est important de répondre afin de pouvoir y développer des solutions sur le long terme.

Qui ne connaît pas les commémorations de la première et la seconde guerre mondiale ? Dit autrement, qui ne connaît pas le 11 novembre 1918 ou bien le 8 mai 1945 ? Rares sont les Français qui ne connaissent pas ces dates cardinales et rares sont les médias qui ne s’emparent pas de ces événements nationaux et mémoriels. Pourquoi cette connaissance intergénérationnelle ?

En premier lieu, il semblerait que ce soit en raison de la banalisation nationale de ces journées : ce sont des jours fériés, de fait est, la plupart des personnes sensées vont s’y interroger « Pourquoi c’est un jour férié ? ». Ils trouveront sûrement la réponse sur Internet ou bien pour les plus authentiques dans des livres d’histoire, ou dans des calendriers. Ces journées commémoratives sont inscrites dans la
mémoire nationale française, ce sont des journées banalisées pour se souvenir des milliers
et millions de français qui sont morts pour la France.

En second lieu, il semblerait que cela soit lié à l’éducation : peu importe dans quels établissements scolaires tu te trouves, il y aura toujours un moment, voire même plusieurs moments dans ta scolarité où tu apprendras ces journées de commémorations nationales car elles sont inscrites dans les
programmes scolaires d’histoire et d’éducation morale et civique.

C’est au travers de la pédagogie, de l’éducation et de leur caractère officiel que ces journées de commémorations sont ancrées non seulement dans les coutumes et dans les mœurs de la société française mais également dans les esprits et la mémoire collective française. De plus, tout le monde
s’y sent concerné, c’est un devoir national, à l’inverse du Mois des Mémoires de l’Esclavage. Contre 7 manifestations médiatiques néo-aquitaines sur le Mois des Mémoires de l’Esclavage, on en trouve 918 concernant la commémoration du 8 mai 2023 et une quinzaine pour ce qui du 11 novembre.

Cet écart paraît invraisemblable mais il prouve en des termes concrets la méconnaissance totale du Mois des Mémoires de l’Esclavage, et plus particulièrement de la commémoration du 10 mai.

Ne pensez-vous donc pas, à ce stade, qu’il est essentiel de mettre fin au silence et à l’invisibilité de l’esclavage, de la traite négrière et de leurs victimes ? Ne croyez-vous pas qu’il est temps d’enseigner la réelle vérité historique ? D’instaurer le 10 mai comme jour férié pour interroger et faire connaître à tous la « journée nationale de commémoration des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leur abolition ? ». Autrement dit, n’est-ce pas le moment de traiter ces événements historiques et mémoriels à égalité avec les autres événements historiques et mémoriels français ?

Ce serait signe de reconnaissance et peut être le début d’une réparation identitaire, d’une réparation mémorielle.

1.3 Traitement médiatique : la parole libérée, une responsabilité dure à admettre qui freine
la médiatisation de l’esclavage moderne

Pour autant, afin de comprendre au mieux cette faible médiatisation, il me paraît
pertinent de traiter la situation dans le sens opposé qu’elle s’est produite. En effet, quelle signification aurait un traitement médiatique fort sur le Mois des Mémoires de l’Esclavage ?

À mon sens, cela serait paru comme un aveu, un aveu de la responsabilité de la France dans ce qui a été la plus grande tragédie humaine, mais également un aveu de la volonté à évoluer, à prendre en compte réellement le désespoir des victimes face à leurs blessures, à prendre conscience de leur existence et de leur parole.
Le traitement médiatique est comme dit précédemment « la capacité d’un média à traiter et couvrir un événement », finalement peu importe le type de média, c’est une façon de libérer la parole et de laisser des traces concrètes dans les archives nationales. Dans ce sens, on peut imaginer que le faible traitement médiatique auquel fait face le Mois des Mémoires de l’Esclavage n’est simplement que le reflet du refus de la France à admettre sa responsabilité individuelle dans l’esclavage et la traite négrière, l’inacceptation de laisser des traces de cet aveu, ou tout du moins, des textes le laissant sous-entendre.

Cependant, c’est une reconnaissance dont les afrodescendants ont véritablement besoin pour se reconstruire une identité, une légitimité, une histoire vraie et non seulement occidentale et euphorisée. Car, bien que la France soit le premier pays à avoir considéré l’esclavage et la traite transatlantique comme crime contre l’Humanité, elle persévère à maquiller les faits, à priver les historiens africains, caribéens et ultramarins de leur histoire. Somme toute, elle persévère dans cette «calcification de l’histoire française » d’une part, et cette «fossilisation de l’histoire et de la souffrance » d’autre part.

Et d’ailleurs pour aller plus loin, il semblerait que cette admission de participation française ne freine pas uniquement les réparations mémorielles. Effectivement, encore aujourd’hui l’esclavage perdure sous plusieurs formes, et sa dénonciation et médiatisation reste complexe.

À ce titre, je donnerais l’exemple d’Olivia, esclave en France pendant 1 ans à l’âge de ses 14 ans : longtemps fut le temps qu’elle a pris pour dénoncer les actes abominables dont elle a été victime il y a des années. C’est également le cas au Qatar qui pratique nombre de filières d’esclavage et d’exploitation. Le mode de vie occidental, les traditions héritées des modes de fonctionnement antiques ne sont pas étrangers à la perpétuation de l’esclavage. C’est sur cette histoire coloniale et esclavagiste que le monde occidental et les sociétés occidentales se sont construits.

Il me paraît donc évident qu’un travail de fond s’effectue d’abord sur cette question de l’esclavage et de la traite négrière avant de vouloir régler les problématiques actuelles liées à l’esclavage d’aujourd’hui. L’un ne va pas sans l’autre.
Par suite, le Mois des Mémoires de l’Esclavage 2023 a connu un très faible traitement médiatique en Nouvelle-Aquitaine, et même sur l’entièreté du territoire français. Pourtant, c’est un traitement médiatique dont les victimes ont véritablement besoin pour se sentir exister, visibles, et qui permettrait un traitement plus juste des esclavages de notre époque. Car aujourd’hui, cela rend de plus en plus profondes les
cicatrices, et de plus en plus difficile le dialogue avec les victimes.

Toujours est-il que « peu » ne signifie pas, « rien ». Il est donc notable de noter les progrès sur le sujet.

DEUXIÈME PARTIE : MAIS TOUT DE MÊME, UN TRAITEMENT MÉDIATIQUE : PROGRÈS ET DÉVELOPPEMENT, UNE RÉPARATION QUI SE VEUT PROGRESSIVE

Comprendre le passé est essentiel pour voir le présent autrement, et le traitement médiatique du Mois des Mémoires de l’Esclavage peut être une façon d’articuler le passé afin de répondre au mieux aux exigences du présent : une exigence de vérité historique, une exigence de réparation symbolique. Ainsi, il est inconcevable d’ignorer la médiatisation même minime du Mois des Mémoires de l’Esclavage, car elle a une signification, notamment et surtout pour les victimes.

Nous allons donc nous intéresser ici au traitement médiatique du Mois des Mémoires de l’Esclavage 2023 en Nouvelle-Aquitaine, dans une perspective davantage tournée vers le développement et la progression, car oui nous sommes sur la voie de la réparation.

2.1 Un traitement médiatique informatif

L’ignorance et l’invisibilisation sont les deux processus dont ont longtemps souffert et continuent de souffrir les afrodescendants, victimes directes de l’esclavage et de la traite négrière. C’est pour cela qu’il est important de ne pas ignorer le traitement médiatique du Mois des Mémoires de l’Esclavage 2023 en Nouvelle-Aquitaine, même faible, bien que la plupart des manifestations médiatiques soient à titre informatif.
En effet, sur 7 articles et émissions de presse recensés, seulement 3 ont un discours profond et explicatif sur le Mois des Mémoires de l’Esclavage 2023 et ce qui s’en suit fondamentalement, à savoir l’esclavage, la traite négrière, et leurs mémoires individuelles comme collectives. Les 4 autres apportent simplement des informations nécessaires et indispensables concernant les événements à venir liés aux mémoires de l’esclavage et de la traite négrière tels que les commémorations, les expositions. Ils rapportent simplement que des événements se produisent et donc par suite qu’une conscientisation de l’importance des commémorations s’opère.

Que peu à peu, l’État, les municipalités, mais surtout les associations mémorielles, viennent prendre en compte la nécessité de se souvenir des abolitionnistes, des héros et des esclaves, et de partager un instant commun de réflexion civique autour du respect de la dignité humaine, adapté à tous. Même à titre informatif, cela signifie beaucoup de prises de consciences, même s’il en faudrait
davantage.

Prenons l’exemple de l’émission radiophonique de France Bleu La Rochelle intitulée « Comment intéresser les jeunes à la journée nationale des mémoires de l’esclavage et de son abolition ? » (ci-dessus).

Elle débute par l’annonce des présentateurs d’un invité, Nathan…du collectif rochelais et rhétais La Collab’, puis elle se poursuit par des explications sur la journée du 10 mai, l’événement proposé par l’organisation, les quelques évolutions de la ville par rapport aux problématiques mémorielles liées à l’esclavage.
Finalement, il n’y a pas ici la véritable apparition du Mois des Mémoires de l’Esclavage, probablement Qu’ils n’en ont pas la connaissance. Cependant, ils informent, et le simple fait d’informer prouve que les gens s’intéressent à la question, en tout cas pour certains.

Prenons un second exemple, l’article du Sud-Ouest titré « Journées de la Mémoire de
l’Esclavage à Bordeaux : les cinq rendez-vous à ne pas manquer », d’emblée rien qu’au titre
nous comprenons que le sujet sera abordé sous le prisme de l’informativité…Et cela ne manque pas :

Pour chaque paragraphe, on trouve un jour associé et une explication de l’événement (« la
cérémonie officielle d’ouverture », « discours officiels » « spectacles de chants et de
danses »), des acteurs, des publics, ajoutés aux précisions spatiotemporelles (« Mercredi 10
mai, de 17h30 à 18h30 », « sera célébrée au square Toussaint Louverture situé dans le parc
aux Angéliques, quai de Queyries »).

De fait, bien que la plupart de la médiatisation informe seulement sur une commémoration, majoritairement sur le 10 mai, journée nationale des mémoires de l’esclavage, de la traite négrière et de son abolition, sur la nature de l’événement, la date et l’heure, la nouveauté de l’année, et pas littéralement sur le Mois des Mémoires de l’Esclavage, elle invite tout de même à l’interrogation et la connaissance des événements mémoriels qui le composent, et ainsi, donne une part de visibilité, d’existence et de
légitimité au souvenir.

Toutefois, un traitement médiatique de fond du Mois des Mémoires de l’Esclavage 2023 en Nouvelle-Aquitaine s’impose tout de même pour connaître en globalité le Mois des Mémoires de l’Esclavage et non plus des dates prises par ci par là et insignifiantes.

2.2 Un traitement médiatique de plus en plus profond : vers la connaissance et la vérité

« Il faut que certaines vérités resurgissent » et « Il faut se souvenir, c’est fondamental. ».

Par suite, il convient essentiel de traiter l’esclavage et la traite négrière de façon davantage profonde et véridique, tout en occultant pas le plus important, le Mois des Mémoires de l’Esclavage. De ce fait, bien que nous faisons face cette année, comme les années précédentes, à un traitement médiatique faible, majoritairement informatif, certains journalistes et acteurs de la presse s’attachent à puiser dans les racines de l’histoire et développer les mémoires d’aujourd’hui…Ils écrivent pour raconter des vérités occultées ou transformées par les esclavagistes, ils écrivent pour la connaissance et la vérité.

C’est le cas par exemple de Manon Pélissier, journaliste pour France 3 Nouvelle-Aquitaine, qui après la
commémoration du 10 mai 2023 au square Toussaint Louverture de Bordeaux, ne s’est pas contentée dans son article intitulé « Commémoration de l’abolition de l’esclavage : Bordeaux a-t-elle retrouvé sa mémoire ? » de simplement débriefer la cérémonie, au contraire, elle a écrit l’histoire, en faisant ressurgir le terne passé colonial de Bordeaux, sa longue amnésie vis-à-vis de l’esclavage et de la traite négrière, mais aussi ses progrès et sa mobilisation sur le sujet depuis quelques années tout comme les réticences. Des progrès qui ne sont pas à négliger, et qui affirment sa volonté progressive de mettre fin à l’oubli et
laisser place au souvenir.

Par conséquent, on constate d’emblée, par le titre de l’article (« Bordeaux a-t-elle retrouvé sa mémoire ? ») fort en émotions que l’article ne se satisfera pas d’un simple compte-rendu de la cérémonie, il s’agira plutôt d’interroger Bordeaux et sa mémoire au prisme de l’esclavage et de la traite négrière.

En effet, il sort en résonance avec une période où Bordeaux était en amnésie totale de son passé colonial et esclavagiste, et il invite à se questionner sur la mémoire, tout en amenant à la curiosité (de la réponse). Le chapeau explicatif contextualise : nous sommes un 10 mai, journée de commémoration nationale, Bordeaux à souvent nier son passé négrier, de fait, que peut-on en dire aujourd’hui. Dans le premier paragraphe, Manon Pélissier commence par citer les paroles d’un ancien maire (Huges Martin) dénonçant l’inaction de la ville vis-à-vis de cette question pendant un certain temps. Un passé négrier qu’elle va relater en intégrant des vérités chiffrées, poignantes ce qui les rend davantage crédibles et potentiellement réelles. Dans le deuxième paragraphe, elle expose les faits, le travail mémoriel entamé avec des actions précises, des dates et des prévisions pour la suite. Puis, elle aborde un nouveau point : « Un lent travail de mémoire ». Rien que le titre fait émerger autant le progrès que la passivité. Elle poursuit son article dans cette lignée progressive : en démontrant les faits, les efforts comme les tensions. Finalement et logiquement, elle poursuit son développement en essayant de trouver une réponse à la problématique qu’elle s’est fixée.

Ainsi, de par cet article révélateur d’un désir de vérité, on n’en vient à se demander si, comme Nantes, Bordeaux ne serait-elle pas en phase de conscientisation de l’importance de la reconnaissance, de la vérité, et plus loin de la mémoire ? Effectivement l’article n’est pas une couverture médiatique du Mois des Mémoires de l’Esclavage à proprement parlé, pour autant, en comparaison à ses semblables, il semblerait davantage historique et recherché, avec des données chiffrées, des paroles citées, et des illustrations prouvées.

L’article de Manon Pélissier serait ainsi le signe d’un réveil des mémoires graduel…et peut-être aussi le signe de l’ignorance totale du Mois des mémoires de l’Esclavage.

2.3 Traitement médiatique et réparation : vers la justice et la cicatrisation mémorielle

Comme évoqué précédemment, le traitement médiatique laisse une trace, une trace pour la plupart de reconnaissance. Il peut ainsi se comprendre comme la fin du silence et de l’invisibilisation. Ce serait une forme de réparation identitaire pour les communautés victimes de l’esclavage et de la traite négrière, comme un ensemble de moyens employés pour guérir.

Il sera donc sujet ici du traitement médiatique du Mois des Mémoires de l’Esclavage, et même de l’esclavage et de la traite négrière en eux-mêmes, du point de vue de ses bienfaits et des guérisons qu’il signifie.
À mon sens, une médiatisation de ce sujet signifie énormément pour les afrodescendants, et constitue déjà en elle-même une forme de justice et donc de cicatrisation des blessures endurées.
Pourquoi justice ? Car pendant longtemps ces crimes contre l’humanité ont été synonymes d’injustice puisque jamais été reconnus par les exécuteurs. Aujourd’hui, par cette médiatisation, c’est la reconnaissance qui est mise en lumière et donc un chemin vers la justice.
Cicatrisation mémorielle, pourquoi ? Tout simplement car c’est une histoire extrêmement douloureuse pour les communautés afro-caribéennes et ultramarines, le simple fait de savoir que pendant des siècles, la torture, l’inhumanité et l’exploitation frappées nos ancêtres est déjà extrêmement douloureux, alors pensez si on ajoute à cela cette injustice : l’esclavage constitue une plaie extrêmement sensible à peine cicatrisée.

Ainsi, j’aurais tendance à dire que la couverture médiatique du Mois des Mémoires de l’Esclavage et même plus de l’esclavage et de la traite négrière, en raison de la notoriété et de l’influence considérablement importante des médias, témoigne d’une forme de reconnaissance et de légitimité, d’un début de cicatrisation, de justice, et surtout peut-être le moment enfin de pouvoir se construire ou se reconstruire sur des bases mûres et non rongées par des racines coléus qui abîment peu à peu les individus.

Je pense que même si le Mois des Mémoires de l’Esclavage n’est pas traité en lui-même, d’autres sujets associés y sont traités plus en profondeur cette année, ce qui déjà fait force d’avancement et de réparation pour les victimes.

« L’oubli offense, et la mémoire, quand elle est partagée abolit cette offense » alors merci pour ces victimes offensées par l’ignorance…

CONCLUSION

En conclusion, il semblerait que cette année, une fois encore, le Mois des Mémoires de l’Esclavage 2023 n’est pas connu une couverture médiatique fulgurante en Nouvelle-Aquitaine, bien que la commémoration du 10 mai soit reprise par quelques médias.

De mon point de vue, cela est révélateur de la méconnaissance de la société française à l’égard
de cet événement. L’ignorance de cet événement par la majorité voire plus de la société
néo-aquitaine et j’irais même jusqu’à dire de la nation française, fait de cet événement, un
événement invisible et silencieux à l’image de l’invisibilisation et du silence des victimes.

C’est en ce sens que l’on pourrait considérer la médiatisation du Mois des Mémoires de
l’Esclavage 2023 néo-aquitaine comme représentative de la passivité de la société française à l’égard de cet événement et plus généralement de l’esclavage et de la traite négrière. Pourtant, depuis quelques temps la région Nouvelle-Aquitaine et plus précisément la ville de Bordeaux a baissé le voile qui planait sur son passé colonial en faisant place à la vérité et à la mémoire : des articles cités ci-avant font preuve de ses efforts de reconnaissance et de mobilisation.

Il est donc essentiel de ne pas nier ses améliorations qui certes ne concernent pas directement notre événement mais qui y reste très étroitement associées. Malheureusement, cela n’a pas suffi à la connaissance du Mois des Mémoires de l’Esclavage. Il reste un événement mémoriel mal connu ou inconnu pour grand nombre de personne.

C’est la raison pour laquelle une question fondamentale me taraude : le Mois des Mémoires de l’Esclavage est-il connu et médiatisé dans les pays les plus concernés, les plus victimes de l’esclavage, à savoir les pays africains ? Comment voulez-vous procéder à la guérison mémorielle par le traitement médiatique en France, quand même en Afrique sur une cinquantaine de pays d’autres n’ont même pas fait preuve de réflexion vis-à-vis de la question, d’aucun travail mémoriel ? Et sont encore profondément ancrés et rongés par une souffrance silencieuse ? Comment mettre en place une mémoire de l’esclavage en France, quand même en Afrique elle paraît inexistante ?

C’est là une interrogation fondamentale à laquelle je pense il faut songer avant de condamner la France sur ses inactions.

Héléna MFONKA

Etudiante en licence de Lettres Parcours Renforcé Sciences Politiques à l’Université de Poitiers

 

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