Né en 1915 à Tameslought (sud de Marrackech), la vie de Mohamed Ben el Housseine el Meslouhi illustre le pire et le meilleur des destins de ces soldats des colonies que la France engage dans la deuxième guerre mondiale de son histoire. Echappé à la mort sur les fronts de la guerre, rescapé des travaux forcés du Camp nazi de Buglose, rapatrié au Maroc, c’est pourtant à Dax, prés de son lieu d’emprisonnement qu’il revient fonder sa famille.
Né dans un Maroc sous le régime de sujétion coloniale nommé protectorat, qui permet à la France de s’arroger la gestion, la diplomatie, le commerce extérieur et l’armée de l’État protégé, le jeune marocain s’engage à 20 ans dans le 31ème Bataillon du génie de Ouezzane.
Plusieurs évolutions de carrière lui permettent de gravir les échelons de l’armée française jusqu’au grade de Sergent lorsque l’éclatement de la guerre en 1939 le fait réengager le 13 mai 1939 à Taza au titre du 4ème Régiment de Tirailleurs Marocains.
Mobilisé sur le front de la Marne, Mohamed Ben el Housseine el Meslouhi prend part aux combats mais est fait prisonnier le 14 juin 1940. C’est d’abord au Front Stalag 195 A (Saint Omer) qu’il est emprisonné avant d’être déporté dans les Landes à l’Arbeit Kommando de Buglose.
D’abord abri pour les réfugiés espagnols chassés par la terrible dictature franquiste, c’est la meurtrière technocratie nazie qui se chargera d’étendre ce camp landais aux soldats des colonies.
Sur la route de Laluque, dans la commune de Saint-Vincent-de-Paul, l’Arbeistkommando emprisonne aux travaux forcés des milliers de soldats des anciennes colonies françaises d’Afrique jugés indignes du sol nazi. Et par un curieux retournement de l’histoire, après la capitulation allemande de 1945, ce sont des militaires allemands qui y connaitront le même sort auquel les ordres barbares les avaient contraints.
Ici, dans les différents camps édifiés dans le département des Landes jusqu’à 9 000 soldats des colonies, d’Algérie, du Maroc, du Sénégal, d’Indochine, y furent emprisonnés de 1941 à 1944. Et à la Libération « au cours de la dernière distribution de tabac en aout 1944 dans les deux camps où se trouvaient rassemblées 8 000 prisonniers indigènes, ont put se rendre compte par l’accueil que firent au délégué départemental les indigènes libérés… »
Libéré du Camp de Buglose le 23 août 1944, Mohamed Ben el Housseine el Meslouhi participe à la libération de la pointe de Grave et combat à Bordeaux contre les Maquis pour rétablir l’ordre Républicain avant de faire de faire un stage de déminage à Strasbourg.
Rentré à Oujda, il est démobilisé et rayé des cadres de l’armée le 25 janvier 1946. Persuadé de n’avoir aucun avenir au Maroc et déterminé à rejoindre sa marraine* de guerre à Dax, Mohamed Ben el Housseine el Meslouhi va revenir en France en embarquant dans un bateau à Oran et en se déguisant avec une tenue de soldat américain. A Marseille il achète de faux papiers et se rend directement dans les Landes.
A Dax, une fois sa situation administrative régularisée, il s’installe au quartier du Bas Sablar, devient ouvrier forestier, surnommé « Joseph ou Soleil’ et se marie avec une femme du pays avec laquelle il aura cinq enfants trois filles et deux garçons.
Pour son fils, Jacques ElHossine, un des membres actifs de l’association Mémoire du Camp des Prisonniers de Buglose, avec lequel nous nous sommes entetenus « Mes parents décident de faire construire une maison, nous déménageons en 1960, la guerre d’Algérie n’est pas terminée, pour nous cela a été une période douloureuse, dure, insultes, bagarres, les gendarmes venaient fouiller la maison au cas où. Nous n’étions pas comme les autres, nous étions les enfants du fellagha, des bougnouls…etc. Cela a duré et dure encore, nous avons une pancarte dans le dos. Je me rappelle, petit, mon père me dit un jour, tu es marqué au fer rouge ! Finalement, oui nous ne sommes pas comme les autres, surtout lorsque nous nous comparons. »
Karfa Sira Diallo, conseiller régional Nouvelle-Aquitaine et fondateur-directeur de Mémoires & Partages
*MARRAINE DE GUERRE – Institution de la 1ère guerre mondiale qui désigne les femmes ou les jeunes filles qui entretiennent des correspondances avec des soldats au front afin de les soutenir moralement, psychologiquement voire affectivement. Il s’agissait souvent de soldats livrés à eux-mêmes, ayant par exemple perdu leur famille. La marraine de guerre faisait parvenir des lettres à son soldat mais pouvait également envoyer des colis, des cadeaux, des photographies.