A la veille de la journée guadeloupéenne des résistances contre l’esclavage du 27 mai et dans la perspective du débat qui fait rage autour de la légitimité du saccage des statues de Victor Schoelcher, il importe de signaler qu’une ville métropolitaine s’est, tôt engagée pour la valorisation des figures de résistants contre l’esclavage.
Dans la métropole bordelaise, sous l’égide de Patrick Chamoiseau et aux aurores de la commémoration des résistances et des abolitions, la figure du héros de l’abolition guadeloupéenne était célébrée, à l’initiative de Mémoires & Partages.
C’était en 2006, pour la première journée métropolitaine de commémoration de l’abolition de l’esclavage, sous l’égide de son ancien maire, Noel Mamère, une place de la ville est inaugurée en hommage au résistant guadeloupéen Louis Delgrés (1766-1802) qui organisera la rébellion héroïque contre la décision de Napoléon de rétablir l’esclavage colonial aux Antilles.
Et régulièrement depuis la ville de Bègles a accueillie l’organisation de journées de commémoration de l’abolition de l’esclavage sous la forme d’expositions, de projections et de rencontres en partenariat avec les associations.
En Guadeloupe, il est le héros incontesté de la mémoire de l’Ile. Son effigie s’est retrouvée sur un timbre et sa statue trône désormais en plusieurs lieux publics de la Guadeloupe.
En Métropole, une rue l’honore à Paris pendant qu’au Blanc Mesnil une stèle est inaugurée en 2017.
Pour en expliquer le sens et réagir au débat en cours sur les vestiges de l’histoire coloniale, Karfa Sira Diallo, fondateur-directeur de Mémoires & Partages, soutient que,
« Si nous continuons à nous battre pour que la mémoire des victimes et des résistants trouve enfin sa place dans la signalétique urbaine métropolitaine, nous devons nous garder d’opposer la mémoire abolitionniste et la mémoire des résistants contre l’esclavage colonial. Elles sont complémentaires et témoignent d’une conscience humaniste et fraternelle qui travaille chaque peuple. Oui, comme le dit Patrick Chamoiseau il nous faut distinguer l’oeuvre de Victor Schoelcher et l’instrumentalisation que la République en.a faite pendant un siècle et demi. Si les colères face aux lenteurs et aux hypocrisies sont légitimes. Elles sont saines si elles ne dressent pas les mémoires les unes contre les autres. Notre responsabilité à nous c’est d’avoir et/ ou de renforcer notre exigence politique à l’endroit de nos élus. Et de nous approprier ces mémoires en créant des espaces et des moments alternatifs et solennels où ces mémoires peuvent se partager en révélant leurs potentialités critiques. Pour aujourd’hui et demain! »
BIOGRAPHIE DE LOUIS DELGRES (1766-1802)
Louis Delgrès né à Saint-Pierre (Martinique) en août 1766 est un officier rebelle et opposant déterminé au rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe en 1802. Il fut l’un des personnages les plus prestigieux de l’histoire de la Guadeloupe. Il sert dans l’armée des républicains français à la Martinique et accède en 1793 au grade de Capitaine à titre provisoire.
Après la conquête de l’île par les Anglais, Delgrès est déporté en Grande-Bretagne en mars 1794, puis libéré en mai. Il participe à la formation du bataillon des Antilles à Brest et est promu lieutenant (octobre 1794). Sa bravoure, lors des combats menés contre les Anglais lui vaut d’être nommé capitaine par le commissaire de la Convention Goyrand (chargé de la reconquête de Sainte-Lucie). Considéré sans doute comme un officier d’élite, Delgrès fait partie des troupes envoyées de Sainte-Lucie à Saint-Vincent pour soutenir les Caraïbes noirs révoltés contre les Anglais. Fait une nouvelle fois prisonnier au début de juin 1796, il est déporté en Grande-Bretagne puis libéré en septembre 1797. Il est alors promu chef de bataillon et tient garnison à Rouen. A la fin de l’année 1799, il retourne en Guadeloupe comme aide de camp de l’agent Baco. Ultérieurement, il devient aide de camp (officier de confiance) du capitaine général Lacrosse.
En janvier 1802, Delgrès qui a été promu au grade de Colonel par Pelage, est placé à la tête de l’arrondissement de Basse-Terre. En mai 1802, il décide de s’opposer par les armes aux troupes du Général Richepance envoyer par Napoléon Bonaparte pour rétablir l’esclavage. Après de durs combats, il évacue le fort Saint-Charles et se replie sur les hauteurs de Matouba. Richepance fait donner l’assaut à l’habitation Danglemont (Matouba) où Delgrès avait établi son quartier général. Blessé, Delgrès décide de se suicider avec plusieurs centaines d’hommes en faisant sauter des barils de poudre. Cette mort dramatique, survenue le 28 mai 1802, en fait une figure hautement symbolique.
LA DÉCLARATION DE DELGRES Guadeloupe 09 mai1802
Vivre Libre ou Mourir !
« C’est dans les plus beaux jours d’un siècle à jamais célèbre par le triomphe des lumières et de la philosophie, qu’une classe d’infortunés qu’on veut anéantir se voit obligée d’élever sa voix vers la postérité pour lui faire connaître, lorsqu’elle aura disparu, son innocence et ses malheurs…
Osons le dire, les maximes de la tyrannie la plus atroce sont surpassées aujourd’hui. Nos anciens tyrans permettaient a un maître d’affranchir son esclave, et tout nous annonce que, dans le siècle de la philosophie, il existe des hommes, malheureusement trop puissants par leur éloignement de l’autorité dont ils émanent, qui ne veulent voir d’hommes noirs ou tirant leur origine de cette couleur, que dans les fers de l’esclavage.
Ah ! sans doute un jour vous connaîtrez notre innocence …
Citoyens de la Guadeloupe, vous dont la différence de l’épiderme est un titre suffisant pour ne point craindre les vengeances dont on nous menace…
La résistance â l’oppression est un droit naturel.
La divinité même ne peut être offensée que nous défendions notre cause ; elle est celle de la justice et de l’humanité…
Et toi, postérité ! accorde une larme à nos malheurs et nous mourrons satisfaits. »
Le Commandant de Basse-Terre, Louis Delgrés (1766-1802)