Mouvement d’éducation populaire à la mémoire partagée depuis 1998

BORDEAUX – BAYONNE – DAKAR – LA ROCHELLE – LE HAVRE – PARIS

INITIATIVE – Echanges entre descendants d’armateurs et militants

Le journal Sud-Ouest du mercredi 4 mai consacre une large part au dialogue entamé, depuis deux ans, par Karfa Sira Diallo avec deux personnalités descendantes de grandes familles commerçantes bordelaises du 18ème siècle.
Cette démarche inédite est fidèle à l’esprit d’ouverture et de partage porté par l’association internationale Mémoires & Partages.
En tant que président de l’association, je soutiens pleinement la démarche entreprise par Karfa Diallo, le directeur, et assure notre engagement pour une vigilance apaisée des mémoires coloniales.
Patrick Serres, président de Mémoires & Partages

RENCONTRE

par Catherine Darfay , Journal Sud-Ouest, 4 mai 2016

Retour sur l’histoire à Bordeaux et sur les traces que la traite des esclaves a laissées avec Karfa Diallo, Axelle Balguerie et Pierre de Bethmann.

Longtemps oubliée, parfois crispée, la mémoire de l’esclavage à Bordeaux sait aussi s’apaiser. C’est en tout cas ce que tentent de faire le militant associatif Karfa Diallo et deux descendants de grandes familles bordelaises, Axelle Balguerie et Pierre de Bethmann._Ils dialoguent depuis deux ans et se sont à nouveau rencontrés dans les locaux de Sud Ouest. Ils s’expriment en leur nom personnel.

1- Pourquoi nous? Pourquoi Bordeaux?

Karfa Diallo Je ne suis pas Antillais, donc pas descendant d’esclaves. Qui sait si mes ancêtres sénégalais n’ont pas été négriers… Ce qui ne m’empêche pas de travailler depuis 18 ans sur le sujet

Pierre de Bethmann Je n’ai jamais eu l’occasion de parler de ce sujet avec mon père que j’ai perdu tôt. Je n’ai découvert cette problématique que par mes enfants qui avaient consulté la notice Wikipedia consacrée à ma famille. J’ai décidé simplement de ne pas balayer le sujet d’un revers de main.

Axelle Balguerie Nous ne discutions quasiment jamais de cela dans ma famille. Adolescente j’ai commencé à en entendre parler à l’extérieur, et j’ai récemment été l’objet de mises en cause que j’ai trouvées vraiment violentes.

Karfa Diallo En fait, nous nous sommes rencontrés avec Axelle dans des circonstances particulières. En mars 2014 j’avais été invité  par le maire de Tresses à donner une conférence sur l’esclavage. C’était pendant les municipales et je me suis aperçu qu’Axelle Balguerie était candidate sur la liste d’opposition ! Ce n’était  pas un hasard mais, du coup, nous nous sommes parlé.

2- Un problème complexe

Pierre de Bethmann Je pense indispensable de comprendre l’Histoire en profondeur, de s’efforcer de contextualiser, et de prendre par exemple conscience que les philosophes des Lumières eux-mêmes étaient souvent très complaisants à l’égard de l’esclavage colonial. Il est certainement possible de considérer la traite et le commerce en droiture comme des faits de nature comparable mais d’intensité différente, et dont la responsabilité incombe à un nombre considérable d’acteurs, notamment en Aquitaine. Et à propos de ce lointain ancêtre bordelais désormais incriminé, je suis en contact avec un chercheur universitaire dont la thèse en dresse un portrait très différent de la notice Wikipedia en question..

Karfa Diallo Même dans le cas de la traite, l’armateur n’affrétait pas seul un bateau pour le commerce triangulaire. Il avait forcément des associés… Quant au commerce en droiture vers les Antilles et Saint-Domingue, il a fait la fortune de Bordeaux, c’est évident. Mais lui aussi exploitait les esclaves qui peuplaient les plantations.

Axelle Balguerie Le fait que la traite ait été légale ne change rien au caractère rétrospectivement odieux de cette partie de l’Histoire. Au-delà de la question de savoir qui aurait fait quoi, ce que je trouve surtout important, c’est de comprendre et faire comprendre tout un fonctionnement d’une époque.

Karfa Diallo Tout cela montre combien le problème est complexe._Or cette histoire a toujours été traitée du seul point de vue émotionnel et occidental. Si l’on en reste à Bordeaux, on ne dit pas tout. Même la loi Taubira ne parle que de l’esclavage occidental.

3- Et maintenant que fait-on?

Pierre de Bethmann Si vous comptez trois enfants en moyenne par génération, une personne de l’époque donnc environ 20 000 descendants près de 300 ans plus tard. Et si vous multipliez ce résultat par le nombre d’acteurs directement ou indirectement concernés au XVIII° siècle, bien peu de gens peuvent s’estimer hors du champ de la réflexion aujourd’hui.

Axelle Balguerie Ce travail de mémoire que nous faisons depuis deux ans avec Karfa Diallo a l’avantage de passer par le dialogue. C’est une démarche pour ouvrir les yeux.

Karfa Diallo Travail de mémoire, le mot est important, bien plus que le « devoir de mémoire », qui n’existe pas._Le travail de mémoire peut se passer de noms et je pense désormais que c’est une erreur de vouloir débaptiser les rues portant des noms de négriers._En revanche, on peut sortir les victimes de l’ombre. Conserver les traces, mettre en évidence ce qui a été créé à partir de l’esclavage, encourager les familles à donner leurs archives._Nous ne voulons pas prédéterminer ce qui va se passer à partir de notre rencontre mais si « réparation » il doit y avoir, c’est dans la pédagogie, la solidarité, les mémoires apaisées qui pourraient faire l’objet.

Qui sont-ils?

Karfa Diallo  est le fondateur-directeur de  «Mémoires et partages» qui a succédé à DiversCités et  la Fondation du mémorial de la traite des noirs, deux associations qui ont œuvré dans les années 90 à la reconnaissance de la traite des Noirs à Bordeaux. Egalement implantée à Dakar, la nouvelle structure s’intéresse désormais à bien d’autres sujets mémoriels comme les tirailleurs sénégalais. Directeur de la publication du site «SénéNews» Karfa Diallo vient par ailleurs de publier «Sénégal – France, mémoires d’alternances inquiètes» (L’Harmattan)

Axelle Balguerie  habite à Tresses, où elle exploite des chambres d’hôtes sur la propriété familiale du XVIIIe. Elle est élue d’opposition, tête de liste du Nouvel élan tressois

Pierre de Bethmann est parisien d’origine bordelaise. Pianiste de jazz réputé, il a notamment participé à plusieurs projets musicaux liés à la mémoire de l’esclavage

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