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LE COLONIALISME VERT : quand le monde moderne veut sauver l’Afrique des africains – Guillaume Blanc en ITW-VIDÉO avec Karfa Diallo

Chercheur associé à Sciences-PO Bordeaux, Les Afriques dans le Monde, Guillaume Blanc* est un récent néoaquitain qui vient de publier un livre sulfureux s’attaquant à des dogmes et habitudes de pensée et d’action de certaines ONG internationales : L’invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Eden africain (Flammarion, 2020).

Karfa Sira Diallo l’a rencontré pour #lekiwivousparle, un espace de rencontres numériques autour de la critique de la modernité éloigné des préjugés et des paresses intellectuelles et politiques.

INTERVIEW-VIDÉO GUILLAUME BLANC – MÉMOIRES & PARTAGES #lekiwivousparle

Karfa Sira Diallo : Nous sommes ce mercredi 9 juin 2021  à Bordeaux.  Guillaume Blanc vous êtes enseignant, professeur à l’université de Rennes 2. Vous êtes un spécialiste de l’Afrique contemporaine. En préparant cette interview on pensait que vous étiez de Rennes, que vous nous faisiez l’honneur de votre présence à Bordeaux. Il se trouve que vous êtes bordelais. Vous êtes donc néo-aquitain. Comment vous arrivez finalement dans ce territoire néo aquitaine bordelais ? 

Guillaume Blanc : Avec ma copine on était à Paris, on voulait en partir. Le confinement à deux dans 20 mètres carrés nous a donné encore plus envie de partir de Paris. Sa famille est d’ici et puis moi il se trouve que j’ai des collègues. Je suis chercheur associé au LAM, c’est un laboratoire qui s’appelle Les Afriques dans le Monde. Donc j’étais déjà venu à Bordeaux à plusieurs reprises. Donc voilà ça s’est goupillé comme ça et maintenant j’ai le plaisir d’y être depuis un an, on est voisins !

KSD : Absolument et je vous pose la question parce que vous savez que Bordeaux a été extrêmement attractive et ça pose beaucoup de questions, en termes d’aménagement du territoire bordelais, en termes de vie aussi. Parce qu’en fait, ce sont des cultures différentes. La culture parisienne n’est pas la culture girondine et c’est quelque chose d’ailleurs que je pense que l’on va retrouver dans votre travail, dans votre analyse globale. Si on a eu cette idée de vous inviter et de faire une interview avec vous pour l’association Mémoires et Partages, c’est que votre travail nous a semblé extrêmement intéressant et allait dans le sens un peu du travail que nous faisons depuis très longtemps. C’est une association qui est basée, qui est née à Bordeaux et qui maintenant est basée sur quatre autres villes françaises, au Sénégal en Afrique depuis 2010 et qui travaille au Bénin et en Guinée autour de la question de la colonisation, autour de la question de la traite des noir.e.s, de l’esclavage, la question du racisme, les mécanismes de domination et de violence, donc de cette période, de la colonisation, et de comment ces mécanismes arrivent à se reproduire aujourd’hui sous d’autres formes. Et c’est ça qui va nous intéresser donc Guillaume Blanc pour vous interviewer sur ce livre. Ce livre est celui-ci : “L’invention du colonialisme vert – Pour en finir avec le mythe de l’Eden Africain.”

C’est un livre que Guillaume Blanc nous propose depuis l’année dernière, depuis 2020. Peut-être pour commencer Guillaume Blanc, qu’est-ce qui vous amène finalement à reprendre une terminologie qui est tellement problématique aujourd’hui en Europe et en France en particulier ?

GB : Et bien justement ce qui est très drôle c’est que le livre est sorti  trois mois avant cette polémique qui n’a aucun sens sur l’islamo gauchisme, qui est directement étiqueté aux études coloniales, post-coloniales. Alors oui le titre se veut un peu provocateur, mais en fait le but est d’énoncer une évidence : oui le passé colonial pèse encore sur le présent. Comment pourrait- il en être autrement ? La colonisation s’est achevée il y a 60 ans, beaucoup de gens  ont été des colons ou ont juste vécu à l’époque coloniale comme en métropole ou dans les sociétés africaines. Bien sûr que le passé colonial pèse sur le présent et c’est ce que j’ai voulu montrer. Alors moi c’est sur l’écologie mais il y a aussi une dimension pour montrer pourquoi on n’arrive pas à résoudre la crise écologique :  parce qu’on est aussi empreint d’un mythe qui nous vient tout droit de la colonisation. Oui le passé colonial pèse sur le présent mais j’ai essayé de montrer comment.

KSD : Oui le passé colonial pèse sur le présent et pour ça il y a un concept. Ce concept c’est le colonialisme vert. L’écologie c’est la grande question aujourd’hui, incontournable, il n’y a aucune société au monde qui peut faire l ‘impasse sur la protection de la nature, de l’environnement. Mais vous, vous allez plus loin, vous vous dites que cette philosophie, cette culture vertueuse finalement, qui est l’écologie, peut aussi être empreinte du colonialisme.  Expliquez-nous cela.

GB : Je vais donner un petit exemple pour expliquer. Quand on prend l’UNESCO qui classe les sites au patrimoine mondial de l’humanité. Mon terrain d’étude il a aussi commencé dans les Cévennes en France. Les Cévennes en France, au Sud-Est de la France sont reconnus patrimoine mondial de l’humanité. Pourquoi ? Parce que l’UNESCO explique que l’agropastoralisme, donc les agriculteurs et les bergers, ont façonné le paysage depuis 3 000 ans, et donc il faut soutenir ces agriculteurs et bergers. En revanche on va en Ethiopie, et là ça a été mon deuxième terrain d’étude, dans le Simien dans le nord Ethiopien où là l’UNESCO explique que les agriculteurs et les bergers menacent la nature et donc demande de les expulser parce qu’ils dégraderaient. Donc en fait on a deux histoires paysagères. Une histoire d’adaptation de l’homme et de la nature, cette histoire se répète dans tous les parcs naturels d’Europe, Et on a une histoire de dégradation de la nature par l’homme et cette histoire se répète dans tous les parcs d’Afrique où du 20ème siècle jusqu’à nos jours il y a eu entre 1 000 000 et 14 000 000 d’agriculteurs et de bergers expulsés. Et aujourd’hui encore.

Des dizaines de personnes peuvent être abattues dans les parcs nationaux, des centaines de milliers de personnes sont criminalisées au quotidien pour cultiver la terre, pâturer leurs troupeaux. Et alors oui c’est une réalité choquante, mais c’est une réalité. Bien entendu on n’est plus dans le fardeau civilisationnel de l’homme blanc comme à l’époque coloniale, on est dans l’époque depuis les années 60 du fardeau écologique, de l’expert occidental, mais l’esprit reste le même : le monde moderne devrait sauver l’Afrique des africains. Et j‘ai donc voulu expliquer pourquoi est-ce qu’on peut croire que lutter pour la planète, pour la cause écologique passe par l’expulsion d’agriculteurs qui produisent leurs propres nourriture, qui se déplacent à pied, ne consomment pas d’électricité, de viande ou de poisson, qui n’ont pas de smartphone, qui n’ont pas d’ordinateurs peut être utile. Pourquoi ce colonialisme vert existe-t-il encore aujourd’hui ?

KSD : C’est une comparaison très intéressante que vous avez faite entre les Cévennes où effectivement on protège les agriculteurs, les êtres humains et l’Afrique, dont ce territoire Ethiopien du nord, le Simien, où là on veut protéger la nature et on expulse donc ces personnes. Comment expliquez-vous justement cela ? C’est-à-dire que l’idée, cette idée qui est toujours d’actualité, que l’Africain est destructeur finalement. Ce dénigrement de l’Africain d’un point de vue occidental n’en est-il pas la preuve d’une sorte de néocolonialisme ?

GB : Alors sur le néocolonialisme je reviendrai après mais c’est pour ça que je suis presque passé par l’histoire, par défaut. Il faut comprendre d’où vient cette image : l’Africain destructeur. Là, il faut replonger dans le début de l’aventure coloniale fin 19ème siècle. Quand les européens partent tenter l ‘aventure coloniale, ils laissent derrière eux une Europe dont les paysages sont radicalement transformés par l’urbanisation, l’industrialisation. Et ils vont être persuadés de retrouver en Afrique la nature qu’ils ont perdu chez eux. Mais le problème c’est que la colonisation crée un choc écologique sans précédent. La déforestation se démultiplie au moins par quatre, la mise en culture des terres érodent les sols bien plus, l’intensification de la chasse fait que ce sont 65 000 éléphants qui vont être abattus chaque année. Et les européens, les colons, bien incapables de voir que les transformations écologiques auxquelles ils assistent sont de leurs faits, et bien ils vont blâmer les populations dites « autochtones” et ils inventent le mythe du bon et du mauvais chasseur. Le bon chasseur est blanc, il chasse le trophée aec du courage et au fusil. Le mauvais chausseur est  noir, il chasse non le trophée mais la nourrture et non pas aux fusils mais à l’arc et à la lance. Et bien les européens vont créer des réserves de chasse, ils vont expulser les Africains, puis ces réserves de chasse deviendront des parcs nationaux dans les années 30 puisqu’il y aura eu encore plus de destruction. Et l’idée va perdurer de cette Afrique authentique, refuge du monde et avec des produits culturels, je vous les cite pas tous. Mais on pourrait aller des neiges du Kilimandjaro d’Hemingway jusqu’au Roi Lion  au National Géographic et avec l’idée selon laquelle idéalement l’Afrique est une planète verte, vierge, sauvage, mais malheureusement verte mais asséchée, vierge mais surpeuplée, intacte mais dégradée. C’est une Afrique qui n’existe pas. Il faut bien comprendre que les parcs nationaux africains ne sont pas vides, ils ont été vidés. Mais parce qu’il y a cette double image : l’Afrique naturelle malheureusement peuplée d’êtres trop nombreux et destructeurs. Cette image vient de la colonisation mais malheureusement elle est toujours d’actualité. 

KSD : Je précise, dans votre livre, votre propos n’est absolument pas de dénigrer la cause environnementale, ni même critiquer la lutte écologique, au contraire, votre projet, votre ouvrage espère y participer. Je vous cite parce que pour vous, “pour enrayer la destruction mondiale de la biodiversité il est urgent de comprendre nos erreurs.” Ce qui est très intéressant dans votre livre c’est que finalement, dans une première phase de la colonisation, quelque part on arrache les Africains, c’est-à-dire on les prend, les amène dans d’autres continents. On s’intéresse à eux puisque dans la première phase de l’arrivée jusqu’à la pénétration coloniale, c’est à partir du 19ème siècle que les Européens vont vraiment rentrer dans le territoire Africain. Lors d’une première partie on arrive sur les côtes et juste on prend, on extrait la chair africaine pour l’amener en Amériques. Dans une deuxième partie on arrive, et quelque part on arrive pour préserver quelque chose de l’ordre de l’Eden. C’est ça qui est très dur dans votre réquisitoire. Parce que finalement vous vous attaquez à l’UNESCO, au WWF. Qu’est-ce que vous leur reprocher vraiment ?

GB : Alors moi ce que je leur reproche c’est d’avoir cette éthique selon laquelle les Africains dégraderaient la nature et qu’en fait pour sauver la nature il faut la sauver des Africains. Il y a plusieurs choses. D’abord la part du mythe, les croyances scientifiques. Il n’y a aucuns chiffres, aucunes études empiriques qui expliquent par exemple le mythe de la forêt perdue. Ce mythe de la forêt perdue, on dit la forêt primaire, mais attention en Afrique … Ce sont des mots qui ont de l’importance. C’est comme les ethnies. Où est-ce qu’il y a des ethnies dans le monde ? En Afrique, en Asie. En Europe nous avons des peuples, des communautés. Le mot signifie l’infériorité à l’origine. Et bien la nature, la forêt primaire, c’est pareil. Quand l’UNESCO explique, quand Al Gore, vice-président américain,  explique  que par exemple il est passé de 40% de forêt à 3%. Ces chiffres nous viennent tout droit de l’époque coloniale et ils n’ont aucune véracité empirique. Mais à force d’être répétés, ils passent pour vrais. Et cet exemple on peut le prendre en Afrique du Sud, Guinée, Sierra Leone, Bénin, Rwanda. Bon il y a déjà de pas avoir d’études scientifiques et la deuxième chose, c’est aujourd’hui , de continuer. Moi j’ai étudié les experts depuis les années 60 jusqu’à nos jours. Des gens qui viennent 5 jours en Ethiopie dans un parc, ils vont passer 48 heures quasiment  à faire le tour du parc en voiture, et vont mener aucune enquête et vont dire “le parc est menacé par ses habitants il faut mettre en place une conservation communautaire”. Mais osons poser la question : quel monde est protégé ?  l’Eden Africain.  Par qui ? Des experts occidentaux. Pour qui ? Des touristes étrangers. Je me suis amusé dans le livre à le faire, même  l’UNESCO et WWF me disent “oui mais au moins la nature est protégée”. Mais allons-y,  faisons le calcul du coût écologique de la visite d’un parc en Afrique. Les bâtons de randonnées et la tente : aluminium donc bauxite, la polaire : résidus de pétrole, le cortex du téflon, le smartphone : néodyme de Chine et tantal du Congo. Et billets d’avions : 0,5 tonnes de CO2. Donc venir visiter un parc naturel en Afrique c’est l’équivalent de détruire dans le monde les ressources mises en parc, mais ça nous permet de croire que nous faisons quelque chose pour lutter contre la crise écologique. Alors que la vérité, quel que soit notre bord politique, c’est le capitalisme et le consumérisme qui détruisent, pas la paysannerie qui vit d’une économie de subsistance.

KSD : Chers amis, je suis avec Guillaume Blanc, auteur de ce livre “L’invention du colonialisme vert”. Si vous avez suivi cette vidéo depuis le début, vous remarquerez avec moi la perspicacité de cette réflexion extrêmement nouvelle je crois, sur beaucoup d’aspects. Mais, Guillaume Blanc, on vous dira “les pays africains sont indépendants depuis les années 60, ils ont des présidents de la République, ils ont des parlements, qu’est ce qu’ ils font ? Parce que je vois bien que les Européens veulent venir quelque part rêver un peu de cette Afrique, de cet Eden, mais ils trouvent quand même des gens qui ne sont pas bêtes !” Que font les pays africains et qu’est-ce qui fait qu’ils se laissent emmenés finalement par ces injonctions européennes ?

GB : Alors là il y a deux éléments qui sont tout aussi importants l’un que l’autre. Le premier, c’est que ça serait vraiment naïf de nier le poids géopolitique des injonctions des pays du Nord et des institutions internationales. Avoir un parc national reconnu par l’UNESCO, qui est une agence des Nations-Unies, c’est aussi un moyen pour les Etats africains et les dirigeants d’être un bon élève sur les bancs de la “bonne” gouvernance mondiale. Etre reconnu par l’UNESCO c’est aussi un bon moyen du coup de dire “je dois avoir un projet de financement pour un projet de développement”, donc quand l’UNESCO dit “vous devez déplacer les populations, parce que la nature africaine est ainsi…”, bon il y a une part de contrainte, et ça je dirai que c’est la moitié de l’explication. Mais l’autre moitié, et c’est là où l’UNESCO et WWF eux ont critiqué mon livre en disant “c’est une insulte aux pays africains de croire qu’il y a de la domination ou de croire ça”. Mais attention ! Les pays africains comme vous l’avez dit, depuis les années 60, oui il y a des normes internationales mais ils savent fort bien les instrumentaliser. Où est-ce que les parcs nationaux vont être créés ? Chez les nomades, dans les maquis, dans les territoires sécessionnistes et aux frontières. En Afrique, comme en Amérique du Nord, comme en Europe, créer un parc national c’est aussi un moyen pour un État de planter le drapeau dans un territoire qu’ils peinent à contrôler, en plus de générer du revenu. Donc ils vont instrumentaliser et c’est pour ça ce que j’ai montré dans le livre, on a une alliance entre l’expert occidental et le dirigeant africain. L’expert occidental veut recréer l’Eden, le dirigeant africain veut se faire reconnaître sur la scène internationale pour mieux s’imposer à l’intérieur. Mais au terme de cette alliance par contre le perdant est toujours le même : l’habitant. Chacun dit lutter pour l’habitant, mais non, l’habitant est le perdant de cette violence globale mais qui est horizontale. Le colonialisme vert né véritablement dans les années 60. Il vient de l’époque coloniale, il existait mais quand il y a cette alliance entre l’expert occidental et le dirigeant africain là ça prend de l’ampleur paradoxalement.

KSD : Ce qui est très paradoxale aussi, Guillaume Blanc c’est que finalement cette pensée écologique, ce mouvement écologique devrait être un mouvement  réelement de destruction. finalement, de cette culture de la domination, de la violence, de la volonté. Ce courant intellectuel et politique et l’écologie devrait être le courant le plus averti , de la pesanteur idéologique qui pèse sur lui et finalement ce n’est pas le cas. Vous faites dans votre livre, d’ailleurs c’est très intéressant, vous faites une comparaison entre l’expert et l’empereur.  C’est très intéressant parce que ça montre une certaine continuité. Qu’est-ce qui fait que ce mouvement devrait être le plus moderne, dans la critique justement de notre modernité mais peine aussi et se fait piéger par cette idéologie ?

GB : Alors là j’emprunterai la théorie de Malcolm Ferdinand. Il a décrit  une “écologie décoloniale”  où en fait il a cette belle formule qu’il appelle la double fracture. L’idée selon laquelle l’idéologie écologique a souvent oublié qu’il y avait aussi de la domination et des questions de racisme et d’impérialisme. Mais aussi que les luttes décoloniales anti domination néocoloniale et oublie aussi l’écologie. Alors que quand on rassemble les deux, et bien là on peut se dire « ok les deux se mettent”. Beaucoup de gens dans l’histoire, moi dans l’environnement, les écologues,, beaucoup le savent et ça ne sera pas eux qui seront entendus par la presse, par les médias parce que c’est un discours complexe à avoir, qui en fait n’est pas si complexe que ça. Et puis plus fondamentalement , c’est notre système. J’ai donné l’exemple d’Al Gore, et je crois qu’il peut être parlant. Al Gore reprend les chiffres totalement faux sur la forêt perdue d’Ethiopie ou d’Afrique. Est-ce que pour autant on peut dire qu’Al Gore ne protège pas la planète, n’est pas un écologiste  convaincu ? Al Gore décrit extrêmement finement les conséquences sociales du changement climatique, mais par contre, quand en est-il des causes ? Là, il est bien plus discret. Par exemple pour ses travaux pour lesquels il a quand même eu le prix Nobel, il ne dit rien d’Apple ni de Google, pourtant deux entreprises parmi les plus polluantes au monde. Il finance la première et siège au conseil d’administration de la seconde. Est-ce que cela veut dire qu’il ment ? Non, ça veut dire que ceux qui détruisent sont aussi ceux qui protègent. Plus l’Occident a été désespérée de voir la nature détruite chez eux, plus ils ont voulu se convaincre de se dire : “mais on peut encore aller la sauver en Afrique”,  Croire que la nature est protégée en Afrique, c’est aussi un moyen inconscient de s’exonérer de tous les dégâts que l’on cause chez nous, partout ailleurs. en se disant “oui je mène ce mode de vie qui est écologiquement destructeur mais attention je fais tout pour que ça soit protégé là-bas”. Mais c’est faux. Les politiques internationales, tristement fonctionnent avec un cache, comme un trompe-l’œil. Croire que nous faisons quelque chose nous permet d’éviter un constat : c’est notre mode de vie qui est en train de tout détruire. Pour l’instant on préfère s’en prendre à la petite paysannerie en disant “ au moins quelque chose est fait”.  C’est un peu déprimant.

KSD : Oui, plus je vous écoute plus je me dis, la race est vraiment le point aveugle finalement de la pensée aujourd’hui. Je pensais aux débats qu’il y a eu dans les années 60 où on parlait des mouvements d’émancipation des peuples mis en colonisation. Aimé Césair, Fanon, sont des gens qui ont quitté les partis, à l’époque des partis communistes la plupart du temps parce qu’à l’époque, c’était le communisme qui renouvelait  la critique de  modernité. Ces partis communistes n ‘avaient pas compris ça. Et Aimé Césaire a quitté, pleins d’autres ont quitté pour créer leurs mouvements. Aujourd’hui on a l’écologie qui arrive, avec une pensée nouvelle, elle reste aussi elle-même piégée à ce jeu-là et c’est ça qui est aujourd’hui quelque chose d’extrêmement difficile. Mais il faudrait qu’on avance là-dessus, comment d’après-vous, quels sont les moyens politiques, sociaux, logistiques qui permettent finalement de contrer ce discours néocolonial.

GB : Je reprendrai votre expression sur le point aveugle, je pense que ça c’est le premier point, il est fondamental. François-Xavier Fauvelle, qui est au Collège de France, écrit dans sa leçon inaugurale au Collège de France que la traite et la colonisation, ont été le point aveugle de la modernité. On a encensé une modernité en se disant attention “cette modernité par et pour et avec l’esclavage, la traite”. Il n’est pas question de jugement, c’est un fait.. Moi je dirai exactement, pour aller dans votre sens, que l’idée et la réalité de la domination post-coloniale sont le point aveugle de la crise écologique aujourd’hui. On veut penser globale, on ne peut pas enlever cette logique de domination. Et alors quoi faire ? Se poser la question : quel monde est protégé, par qui ou pour qui ? Et si on se posait la question, quand on parle de conservation communautaire, il n’est pas une institution internationale qui ne parle pas de conservation communautaire. Mais de quelles communautés parle-t-on ? Est-ce que ces experts sont allés demander aux gens : “vous voulez que cela soit un parc national ? Vous voulez vraiment abandonner toutes vos terres et être convertis en guides touristiques? Ça ne marche pas. Est-ce que l’UNESCO et WWF ont proposé à Cevenol en France de dire “on va vous exproprier, on va vous faire vivre autour, mais attention vous allez convertir votre mode de vie et gagner toute votre vie autour du tourisme” ? On n’y songerai pas. Mais l’altérité de l’Europe face à l’Afrique, l’altérité de croire que les peuples peuvent accepter quelque chose qui est bien pour eux. C’est cette altérité qui reste le point aveugle et puis aujourd’hui aussi de la crise écologique globale. Donc il faut la remettre en cause, la questionner et se demander “okay, concrètement on fait quoi ? Pour quelle société ?” Et pas pour une “grande” Afrique. Mais de quelle société parle-t-on  et que peut-on faire ?

KSD : Que peut-on faire ? Ce que nous faisons depuis 23 ans, c’est un travail à mémoire. Pour nous le travail de mémoire est essentiel. Est-ce que vous pensez que ce travail de mémoire des hommes de l’histoire coloniale, non seulement de ces territoires, peut participer justement à lutter contre cette logique dont vous parlez et comment ça pourrait participer à faire évoluer la situation ?

GB : Moi je pense que c’est fondamental, Tout passe par l’éducation, et quand je dis éducation la c’est en tant que professeur et vous en tant que responsable d’une association. C’est l’éducation pour rendre le passé tout simplement intelligible à tout le monde. Il n’y a pas de militantisme déplacé à dire que le passé colonial pèse sur le présent. Pour la place des femmes en société aujord’hui, heureusement que l’on est capable de dire il y a des siècles et des siècles de machisme et de domination de la femme par l’homme. Et donc il faut que l’on questionne ça pour se dire “la j’ai peut être eu un reflex de domination masculine” qui va être inconscient Et bien il en va de même pour la colonisation, pour la question de l’altérité et la rendre ça serein. C’est-à-dire que l’histoire peut nous permettre de faire face sereinement à nos erreurs et donc de mieux agir dans le présent . Nous essayons de faire la même chose, je pense qu’il faut rendre ça visible, accessible. Ca sera déjà le premier pas, mais y’a du boulot parce qu’il faut que les politiques publiques le fassent puisque notre gouvernement peut s’occuper à inventer l’islamo gauchisme pour désigner un ennemi imaginaire et le faire advenir. On est un peu mal barrés.

KSD : On est un peu mal barrés mais en tout cas Guillaume Blanc je veux vous remercier d’avoir répondu à notre invitation. Ce livre est vraiment important, je crois qu’il participe justement à nous ouvrir les yeux, parce que sous les prétextes de bonne conscience finalement on a tellement commis de maux dans le passé, et nous le savons. Malheureusement encore aujourd’hui nous répétons et Guillaume Blanc nous averti : “oui il faut aller en Afrique bien évidemment, il faut travailler avec les Africains mais il faut les respecter, il faut de la dignité, il faut de l’humilité aussi parce que finalement ce que vous dites c’est ça. C’est que de la même façon que vous traiterez le paysan des Cévennes des paysans du nord Ethiopien. C’est ce que vous nous dites dans ce livre, donc “l’invention du colonialisme vert” de Guillaume Blanc qui  était mon invité, l’invité de Mémoires et Partages ce 9 juin 2021. Je vous conseille de le lire, c’est extrêmement important, il est paru l’année dernière et je vous dis à une prochaine ! Merci beaucoup Guillaume !

GB : Merci beaucoup !

  • Interview mis en forme par Iris Bardeau, stagiaire à Mémoires & Partages #bigup

Guillaume Blanc est Maître de conférences à l’université Rennes 2. Chercheur à Tempora et chercheur associé au Centre Alexandre Koyré et à LAM (Les Afriques dans le Monde, Sciences po Bordeaux), Université Bordeaux Montaigne. Son dernier livre, L’invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Eden africain, vient de paraître chez Flammarion (2020).

Une réponse

  1. C’est Buffalo Bill accusant les indiens d’avoir exterminés les bisons ! À son époque d’ailleurs l’administration du président Grant avait créée le premier parc naturel au monde, celui du Yellowstone, où vivaient encore de libres amérindiens. Ceux-ci, peu d’années plus tard, à 300 kms à vol d’oiseau de ce lieu, infligerons au septième de cavalerie et aux Etats-Unis la plus cuisante des défaites. Aujourd’hui, ce sont les fermiers américains qui, déversant les « fertilisants » de Monsanto, polluent les sols et le grand fleuve Mississipi. Celui-ci charrie ces poisons le long de son cours jusqu’au golfe du Mexique, à l’internationale, pour en faire profiter tous les peuples de la terre. Aucune autre civilisation, existante ou ayant existée, n’a autant détruit l’environnement que celle dont nos cultures occidentales sont le modèle.

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