Quand le passé n’éclaire plus l’avenir, le présent marche dans les ténèbres. Confronté à un risque de disparition d’un lieu de mémoire, reportage dans l’unique un camp de prisonniers coloniaux « restauré » en Région Nouvelle-Aquitaine.
Dire qu’une catastrophe écologique est à l’origine de ce lieu unique et exceptionnel par lequel soldats des colonies et militaires nazis, après y avoir connu les affres de la prison, y retrouvent une seconde vie dans la conscience des femmes et des hommes d’aujourd’hui.
Quand, entre le 23 et le 25 janvier 2009, les rafales de la cyclogenèse, nommée « Klaus », dévalent les pentes du Sud-Ouest, détruisant les arbres, bloquant le réseau ferroviaire et privant les foyers d’électricité, nul n’aurait imaginé que de cette lande de désolation pouvait surgir les décors d’un drame de la seconde guerre mondiale vite recouvert par une nature traumatisée d’en avoir trop vu.
Si la décision municipale de la mairie de Saint Vincent de Paul de l’époque (2011) avait été à l’origine de l’édification de ce site mémoriel de 12 hectares situé au nord de cette commune de 3 200 habitant.e.s des Landes, c’est la constitution en 2012 de l’association Mémoire du Camp de Prisonniers de Buglose° qui permettra de rendre à cette nature sa mémoire, toute sa mémoire. C’est que sans les hommes et leurs histoires, leurs pulsions de vie face aux programmes de mort, cette nature, aussi hostile ou bienfaisante qu’elle puisse être, serait bien en peine de toucher l’âme.
Ce mercredi 23 février, c’est un homme de 83 ans, cadre commercial retraité parisien qui a immigré dans le Sud-Ouest, qui s’avance chaudement emmitouflé dans un manteau qu’il sait être précieux dans l’histoire hostile que son abnégation a fait sortir des landes de l’oubli. A son bras, dans une attitude toute aussi vigilante et résolue, son épouse, ancienne conseillère municipale de la ville, cheville ouvrière du mouvement de conscience et d’action citoyenne qui fait ressusciter le seul camp de prisonniers de la seconde guerre mondiale dans la plus grande région de France.
« Nous n’étions pas nombreux mais déterminés, nous recevions des encouragements, mais aussi des « vous êtes fous ! », « à quoi ça sert ? ». C’était ne pas nous connaitre. Ah ! Oui ! Ce travail a été dur et ingrat, le ramassage interminable des montagnes de branches et leur évacuation, puis le piochage manuel pour la mise au jour d’une cinquantaine de baraques afin de présenter un site visible…Parallèlement aux travaux physiques, nous avions épluché des kilos d’archives. Les 15 et 16 septembre 2012, c’est le succès, 550 visiteurs, les autorités militaires, le directeur de l’ONAC, des présidents d’associations de combattants, le président de l’UDAC, des maires des communes landaises ayant possédé un camp de prisonniers, sont présents. Aujourd’hui les visites collectives et particulières se succédent, toutes avec commentaires pour une durée de 1h30 à 2h… » Régine Daguinos, présidente de « Mémoire du Camp de Prisonniers de Buglose »
Attachés à la vérité et à la transmission, le couple de pionniers nous reçoit entre crainte et espérance. Crainte que le tracé de la nouvelle Ligne Grande Vitesse, compris dans la grande initiative publique du Grand Projet d’Aménagement du Sud Ouest, ne sacrifie, un site exceptionnel que le dévouement et le sens civique de citoyens ont permis de restaurer.
D’abord abri pour les réfugiés espagnols chassés par la terrible dictature franquiste, c’est la meurtrière technocratie nazie qui se chargera de l’étendre dès les débuts de l’occupation allemande de la France. Sur la route de Laluque, l’Arbeistkommando est construit pour emprisonner aux travaux forcés des milliers de soldats des anciennes colonies françaises d’Afrique jugés indignes du sol nazi. Et par un curieux retournement de l’histoire, après la capitulation allemande de 1945, ce sont des militaires allemands qui y connaitront le même sort auquel les ordres barbares les avaient contraint.
Ici, dans les différents camps édifiés dans le département des Landes jusqu’à 9 000 soldats des colonies, d’Algérie, du Maroc, du Sénégal, d’Indochine, y furent emprisonnés de 1941 à 1944. Et à la Libération « au cours de la dernière distribution de tabac en aout 1944 dans les deux camps où se trouvaient rassemblées 8 000 prisonniers indigènes, on pu se rendre compte par l’accueil que firent au délégué départemental les indigènes libérés… »
A l’inspection du 9 juillet 1941, on dénombre 598 soldats des colonies dont 307 marocains, 190 sénégalais, 97 malgaches et 4 indochinois. Parmi eux cinq décèdent au camp dont un à l’hopital de Dax : Saïdou Baldé (23 ans né à Labé en Guinée Conakry), Pensien Koné (23 ans, né à Pakoro en Cote d’Ivoire), Djilllali Ben Abdekrim (24 ans né à Elgali au Maroc), Ben Ali Miloud (27 ans) et Kaddour Ben Houssine. Déclarés « morts pour la France », leurs corps reposent à la Nécropole de Chasseneuil-sur-Bonnieure en Charente.
Parmi ces malheureux conscrits sacrifiés pour une guerre loin de chez eux, deux parcours remarquables. D’abord le Sergent Mohamed El Hossine de Tameslouht au Maroc, engagé à 20 ans en 1934, qui sera fait prisonnier dans le camp de Buglose avant de rejoindre le maquis des Forces Françaises de l’Intérieur. Démobilisé à la fin de la guerre, il rejoint brièvement Oujda mais revient dans les Landes et s’installe à Dax prés de ses parrains et marraines de guerre où il fonde sa famille dont Jacques El Hossine, un des fils, s’engage comme bénévole dans l’association Mémoire du Camp de prisonniers de Buglose.
Le second est de l’ex Haute-Volta et actuelle Burkina-Faso. Le lieutenant-Colonel Michel Arzouma Ouedraogo, né en 1914, descendant de l’ancien Régent du trône du Yatenga et engagé comme soldat de 1ère classe en 1934 y sera emprisonné de 1941 à 1944. Mort le 18 novembre 1978 à Ouagadougou, il sera notamment ministre de la Défense de la Haute-Volta.
Des centaines de soldats allemands les y remplaceront après la capitulation allemande, dés 1944, acheminés dans le camp de Buglose, dans des conditions épouvantables, il y aura aussi Friedrich Heumann et sa famille qui se rapprocheront de l’association pour s’inscrire dans cette œuvre mémorielle vigilante et fraternelle rendue précaire par la volonté de puissance et de progrès qu’incarne le nouveau projet d’aménagement du Sud-Ouest (GPSO).
Serpent de mer né dans les années 80, le projet de ligne à grande vitesse Paris-Toulouse a connu de multiples rebondissements. Mais c’est l’inauguration de la LGV Bordeaux-Paris le 2 juillet 2017 qui en accélère le processus en posant la nécessité des extensions vers Toulouse via Agen et vers l’Espagne via Dax et Hendaye, extensions dont les plans de financement viennent d’être ordonnancés, ce 22 mars 2022, par le président de la république, Emmanuel Macron.
C’est ce dernier tracé que redoutent les animateurs de ce « lieu sacré » et bien des citoyens Néoquitains inquiets des conséquences économiques, écologiques et mémorielles d’un tel projet.
Ce camp fait-il vraiment partie du tracé de la LGV vers Hendaye ? Est-il possible de le classer et de le faire échapper à la destruction éventuelle ?
Vestiges de la folie du nationalisme, objets de patrimoine, fondements d’identité, les lieux témoins des crimes et tortures de masse révèlent des aspects sombres que nos sociétés rechignent à préserver au nom d’un positivisme béat qui préfère les raser.
Il est vrai que les camps nazis ont méthodiquement organisé l’exploitation et la disparition de flux humains dont de trop nombreux soldats des colonies au sort relativement ignoré dans ces lieux morbides. Un fort sentiment de culpabilité, dans un pays dont la collaboration a émaillé l’occupation nazie, imprègne le rapport aux rares lieux qui nous restent de l’histoire de la seconde guerre mondiale.
Pourtant, l’engagement de collectivités nationales, locales ou d’acteurs sociaux a permis à sauvegarder des lieux comme Dachau, Buchenwald, Mauthausen et Auschwitz-Birkenau, non pour des considérations esthétiques mais au nom de la construction d’identités plurielles nouvelles au service desquelles les vestiges concentrationnaires doivent permettre de se souvenir, d’éduquer les masses et de conforter le projet politique démocratique et citoyen de notre société.
Dix ans après une restauration qui en a fait l’unique camp concentrationnaire réhabilité de la seconde guerre mondiale de la plus grande région de France, le camp de Buglose est à la croisée du chemin. Entre progrès technologique et conscience civique et humaniste, un combat salvateur et urgent à mener dans une région tête de pont de l’entreprise colonialiste française et à l’heure des sirènes révisionnistes qui diabolisent une partie des citoyens français descendants de ces soldats des colonies.
Ce moment crucial, renforcé par la disparition des derniers témoins de la seconde guerre mondiale et le caractère exceptionnel et unique du lieu, permet de défendre le périmètre mémoriel et l’identité d’une Nouvelle-Aquitaine dont la récente fusion pose indéniablement de nouveaux défis : mieux valoriser les lieux méconnus, prendre en compte la diversité des populations frappées par les catastrophes politiques et transmettre cette mémoire comme le fait Mémoire du Camp de Prisonniers de Buglose° avec les jeunes et avec les touristes d’ici ou d’ailleurs. Une urgente préservation et classement aux monuments historiques
Karfa Sira DIALLO
Conseiller Régional Nouvelle-Aquitaine
Fondateur-directeur de Mémoires & Partages
INTERVIEW DE PIERRE HOUPEAU & RÉGINE DAGUINOS
MÉMOIRE DU CAMP DES PRISONNIERS DE BUGLOSE
RD 27 – Route de Laluque-Buglose 40990 Saint Vincent de Paul mcpb40@orange.fr – 0631542746 – 0558899103. Site : campbuglose.com
Une réponse
J’ignorais tout de ce camp, moi, dont l’enfance scolaire et, parfois, extra-scolaire fut bercée de la formule : « plus jamais ça ! » L’effacement est un délit et possiblement un crime, car, ce n’est pas un choix soumis à l’assentiment des générations qui suivent. Tôt ou tard, une archive oubliée et mise au jour explosera aux visages de celles et de ceux dont les parents ont enfoui le passé et les conséquences, alors, pourront être extrêmement néfastes ; pour tous !