Un 23 janvier dans la lutte pour la liberté des noirs dans les pays arabes.
Injustement et quasi-exclusivement associés à leur aspect occidental, la traite et l’esclavage des noirs a aussi concerné le Maghreb et le monde arabe. Par le Sahara et par la Mer Rouge, 8 à 10 millions de noirs africains furent razziés ou vendus avec de l’ébène, de l’or et de l’ivoire par des chefs subsahariens contre des chevaux, du sel, des armes et des produits manufacturés.
Pages, domestiques, eunuques, concubines, soldats, main d’œuvre agricole, pêcheurs de perles, nourrices, chanteuses, mineurs pour le sel, l’or et les pierres précieuses. Jeunes hommes, femmes et enfants employés pendant plus de 10 siècles dans des conditions épouvantables, déshumanisantes. En Tunisie, au Maroc, en Algérie, en Arabie Saoudite. Jusqu’en Iran.
A Tunis, ce 171ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage risque de passer inaperçu. C’est l’entrée dans la modernité sous le règne du sultan Ahmed 1er Bey ((1837-1855) qui mettra fin au trafic d’esclaves arrivant du Fezzan et du Bornou par Ghadamés ou de Tombouctou au Djérid, à Gafsa. Si les tunisiens sont souvent fiers d’affirmer que leur pays a été précurseur de l’abolition de l’esclavage, « bien avant la France », grâce au décret du 23 janvier 1846, ce lourd héritage est cependant soigneusement glissé sous le vernis d’une société toujours incapable de respecter et d’assumer sa diversité.
Aucun devoir de mémoire, aucune inscription dans l’agenda national, aucune mise en perspective des héritages d’une histoire pluriséculaire, si peu de reconnaissance d’un horrible crime contre l’humanité, tant d’indifférence à la contribution des négro-africains au progrès économique, social et culturel des États du Maghreb.
A Gabés, à Djerba, à Mahda et même dans certains quartiers de Tunis, le diagnostic est accablant. Les descendants des esclaves noirs continuent de subir les affres d’une discrimination d’autant plus sournoise qu’elle repose sur l’amnésie totale de la période esclavagiste du pays mais aussi sur une bonne conscience locale selon laquelle : « il n’y aurait pas de racisme dans la Verte ».
Après l’important devoir de mémoire sur la traite des noirs entrepris par les nations occidentales (lois, musées et initiatives de la société civile) et de plus en plus par l’Afrique noire (1ère loi africaine au Sénégal et denombreux lieux de mémoire), il importe que le Maghreb et le monde arabe ouvrent ce chapitre de leur histoire pour dessiner un quotidien plus humain pour leurs minorités.
Un débat national et international nécessaire. La longue pénitence des noirs dans les pays arabes commence à être interrogée par de courageux chercheurs et des militants. Animés par la volonté de combattre la situation et l’image dégradante des noirs dans le Maghreb et aspirant à une justice sociale véritable qui bannisse la ségrégation, l’exclusion et les discriminations, des associations et mouvements sont nés dans le sillage des « printemps arabes » dans le but d’éradiquer « toutes sortes de ségrégation raciale, et dans un premier temps à son bannissement de l’espace public, à commencer par les médias et les espaces éducatifs. »
Aussi nocif que le terrorisme, le racisme n’est l’apanage d’aucun peuple. Enraciné dans une amnésie totale du passé négrier et esclavagiste de ces pays, ce virus doit être extirpé partout. Surtout en Afrique. Il en va de son unité.
Pour le combattre efficacement, il faut en saisir les fondements, les sources. Il faut donc se souvenir de ces esclaves aussi. Pour que leur sacrifice ne soit pas vain. Leur rendre justice et dignité dans leur contribution, pour le meilleur et le pire, au progrès de l’Humanité.
Les militants de la mémoire en Occident et en Afrique peuvent jouer un rôle pour accompagner la prise de conscience qui naît dans les pays du Maghreb. Quand Aimé Césaire disait qu’ «un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir », il s’adressait à tous les peuples, à la diversité du monde, au « Tout monde ».
La traite des noirs et l’esclavage commis par les pays sous influence arabe sont, aussi, un crime contre l’humanité, et les textes et codes religieux qui les ont encadrés ou tolérés heurtent la conscience universelle. De Dakar à Tunis, de Nouakchott à Marrakech, de Tombouctou à Doha, d’Abidjan au Caire et de Ouidah à Stone Town, les mêmes idéaux d’égalité, de fraternité et de justice imposent que le crime soit qualifié et inscrit dans le marbre de la loi qui seule dira la reconnaissance solennelle des nations.
Cette promesse officielle et pérenne établit une réparation symbolique la plus urgente d’entre toutes. Induisant naturellement et inexorablement une réparation politique, par la prise en compte des fondations inégalitaires des sociétés sous influence arabe. Mais aussi une réparation pédagogique et citoyenne en promouvant et diffusant les résistances des esclaves, leur contribution à la liberté et au progrès. Instaurant de nouveaux récits nationaux efficaces pour extirper le racisme et les discriminations, déraciner les injustices construites et mobiliser pour la citoyenneté et l’humanisme.
Karfa Sira Diallo, directeur de Mémoires & Partages
Une réponse
Toute l’humanité doit avoir honte de son histoire, l’histoire de l’esclavage la plus abominable pratique de l’être humain contre son semblable.
Le mal ne peut être réparé que par la reconnaissance et l’excuse solennelle aux descendants d’esclaves et par la lutte continue contre toute forme d’exclusion, à cause de la couleur de la peau qui existent malheureusement encore au 21ème siècle