La capitale du pays basque ne fut pas seulement un port qui déporta plus de quatre mille cinq cents captifs africains (compte non tenu des pertes dans la capture, la traversée et l’exploitation dans les îles), c’est aussi la communauté d’esclavagistes la plus importante de Saint-Domingue, la colonie la plus riche d’Amérique du 18e siècle.
Malgré les études historiques, les traces dans la région et le mouvement national de prise de conscience citoyenne et politique, la ville peine à s’investir dans le devoir de mémoire à l’endroit d’un crime contre l’humanité que la république française a pourtant qualifiée depuis 2001 avec la loi Taubira.
Dans le cadre du 4e Black History Month, qui fait escale à Bayonne ce 20 février, il importe que la place de Bayonne et du pays Basque dans l’histoire du racisme doive mériter attention, responsabilité et pédagogie.
En effet, selon les calculs établis par l’historien Jean Mettas (Répertoire des expéditions négrières françaises au xviiie siècle, 1984), la participation de Bayonne au commerce colonial s’élève à dix expéditions négrières, faisant de la ville le 8e port négrier français, loin il est vrai, derrière les grands armateurs nantais, bordelais, rochelais et havrais.
Même si les dernières recherches font état d’une quinzaine d’expéditions négrières parties de Bayonne, la hiérarchie portuaire négrière française n’est pas néanmoins fondamentalement remise en cause. Avec ses quatre mille cinq cents captifs africains, Bayonne reste un port mineur de traite négrière par rapport aux centaines de milliers déportés par les ports nantais, bordelais, havrais, rochelais ou même Honfleur qui en expédie 37 000 aux colonies françaises en Amérique.
Pour les historiens Marion Graff et Jacques de Cauna, qui publient en 2009 le remarquable ouvrage La traite bayonnaise au XVIIIe siècle, il convient d’élargir la place du pays basque dans l’histoire coloniale et raciste aux expéditions négrières parties d’autres ports français (notamment bordelais et espagnols) auxquelles les armateurs bayonnais participent.
Quelques-uns ayant poussé le vice jusqu’à se livrer à la meurtrière traite illégale commencée par nombre d’armateurs malgré l’abolition officielle du commerce des noirs décidée par la convention de Vienne en 1815.
Le rôle de la traite dans le dynamisme de la construction navale est aussi incontestable à Bayonne où par exemple les frères Dutisné font construire la frégate Le Robuste, de 550 tonneaux et de 24 canons, pour la traite de Guinée, en 1749. Bayonne construit aussi pour d’autres ports notamment Bordeaux. Selon Eric Saugera Bordeaux, port négrier, p241 « en 1766, le constructeur bordelais Picaut livra à Laffon de Ladébat le Roi Mydas pour 17 000 livres, et Dominique Cabarrus Jeune s’adressa à son frère Cabarrus Ainé à Bayonne pour l’achat de deux navires : une frégate d’occasion de 45 000 livres rebaptisée Le Roy de Cabinde et un senau neuf de 21 500 livres appelé Le Roy de Malimbe »
Un autre navire négrier, construit à Bayonne pour la Marine royale puis vendu à la Compagnie des Indes Orientales, quitte le port basque en novembre 1760 pour connaitre un plus sinistre sort relaté ces dernières années par un documentaire et une exposition : Les esclaves oubliés de Tromelin.
En effet, dans la nuit du 31 juillet 1761, l’Utile se fracasse sur Tromelin, îlot minuscule sur l’océan indien, mal indiqué sur les cartes de l’époque. A son bord : 140 marins français et 160 captifs africains malgaches. Seuls 80 esclaves parviennent à regagner le rivage en compagnie des membres de l’équipage. Ces malheureux esclaves participent à la reconstruction du navire qui repartira sans eux. Et quinze ans plus tard, ne survivront que sept femmes et un enfant, secourus par le commandant de la corvette La Dauphine.
Les historiens suggèrent aussi de réajuster l’ampleur de la participation de la région dans le commerce négrier aux migrations vers les Caraïbes des basques. En effet, gascons, basques et béarnais affluent vers la colonie de St-Domingue où près de 500 000 captifs sont mis en esclavage par 30 000 colons dont 40 % sont des aquitains venus y acquérir des biens, à les mettre en gérance pour certains et revenir en hexagone profiter de leurs revenus coloniaux.
Selon Jacques de Cauna L’eldorado des Aquitains : Gascons, Basques et Béarnais aux Iles d’Amérique, 1998, ces aquitains marquent du fer rouge de l’esclavage colonial leur « eldorado » caraïbéen.
C’est ainsi que Port-au-Prince, capitale d’Haïti, fut fondée par le béarnais, Joseph de Lacaze, soutenu par son parent l’intendant bayonnais Laporte-Lalanne, et son premier maire à la Révolution a été le Basque Michel-Joseph Leremboure (de la maison Louis XIV à Saint-Jean de-Luz). Et aujourd’hui, dans les campagnes d’Haïti, on peut encore noter l’inscription cadastrale et toponymique de la présence de nos négriers basques : Courjoles, Labarrère, Labadie, Carrère, Dupoey, Darrac, Gaye, Duplaa, Garat, Laborde, Marsan et Navarre. Des présidents de la république et des familles notables portent des patronymes aquitains : Dartiguenave, Salnave, Dartigue, Gardères, Dupuy, Sansarricq et Castéra. Toussaint Louverture lui-même, l’initiateur de la révolution haïtienne, avait une garde dite « béarnaise » et ses aides-de-camp « béarnais ».
Cette relation singulière, entre le Pays Basque et les anciennes colonies françaises en Amérique, sera d’ailleurs à l’origine de la déportation d’esclaves dans le port de Bayonne à partir du 17e siècle.
Capitaines, armateurs et propriétaires de plantations coloniales, succombant à la fameuse « culture créole », usent de tous les subterfuges pour amener leurs esclaves avec eux en métropole. La Déclaration de royale « sur la police des Noirs » du 9 aout 1776 tente, par une règlementation ouvertement raciste de contenir cette présence qui risque de provoquer, selon son auteur, le procureur du roi Poncet de La Grave, « un assemblage monstrueux » : « les couleurs se mêlent, le sang s’altère ».
Cuisiniers, nourrisses, perruquiers, couturières ou blanchisseuses, comme à Bordeaux ou Nantes, les noirs de Bayonne du 18e siècle sont pour la plupart domestiques et majoritairement esclaves au service des grandes familles d’armateurs, de capitaines et de négociants. Une petite minorité de noirs affranchis a pu coexister avec cette population servile dont il est difficile d’avoir un nombre précis.
C’est ainsi que le Dictionnaire des gens de couleur dans la France moderne, en recense en 1741 onze à Bayonne et quatre à Saint Jean de Luz. Entre 1592 et 1790, prés de 102 « gens de couleur » seront déclarés à Bayonne.
10/10/1777 : Azor, nègre né à Saint-Marc et âgé de 14 ans, esclave de Jean Depau-Lega, traiteur à Bayonne, a été appelé par M.M. Depau frères, habitants de Saint-Domingue qui l’ont envoyé en 1776 en France, à apprendre le métier de traiteur (A.N.:COL.F1B4). Dictionnaire des gens de couleur dans la France moderne, LE MIDI
La fameuse « négresse », de Biarritz dont l’histoire dit qu’au 19e siècle elle y serait tenancière d’un bar serait-t ’elle une de ceux-là ?
24/10/1777 : Catherine, dite Tine, mulatresse créole née aux Cayes-Saint-Louis et agée de 38 ans, esclave de M.Jean-Baptiste de Picot, seigneur de Clermont et chevalier de Saint-Louis, et de Mme de La Fresslière, son épouse qu’elle a suivie comme fille de chambre, a été déclarée par ledit Picot, commandant de Jacmel à présent retiré à Bayonne (A.N.:COLF1B4) Dictionnaire des gens de couleur dans la France moderne, LE MIDI
Le « Café Négro », créée en 1930, qui trône dans le centre de la ville avec ses tasses représentant un visage africain en serait-il un héritage ?
Comment sensibiliser les populations basques au devoir de mémoire sur le racisme qui a servi les intérêts économiques esclavagistes de leur pays jusqu’au 19e siècle ?
On le voit, si le port de Bayonne a peu participé de façon directe à la traite négrière, son profit et ses liens avec le système esclavagiste qui a donné naissance au racisme sont indéniables et méritent que les autorités locales s’y engagent.
A travers le respect des moments de commémoration fixés par l’Etat français mais aussi par des initiatives culturelles et citoyennes, il s’agit de comprendre comment ces quatre siècles fondés sur l’exploitation et la violence ont produit des imaginaires et des théories racistes durablement installés dans nos sociétés contemporaines.
Si le crime est irréparable, des exercices de réparation peuvent être, somme toute, un début de solution politique à ces tragédies du « passé ». Cette réparation est non seulement souhaitable mais nécessaire autant pour cultiver la vigilance sur des formes de barbaries contemporaines que pour s’inspirer des énergies et des forces incommensurables de celles et ceux qui ont fécondé le monde. Bayonne et le Pays Basque sont attendus !
8 réponses
http://www.travail-forcé-colonial.fr
« C’est du business, que du business » répond dans un film Nicolas Cage à, me semble-t-il, le comédien qui incarne son frère et qui lui reproche de vendre des armes ; une femme et son fils viennent d’être abattus par leurs clients. Combien parmi celles et ceux qui « réussissent » en Chine où le gouvernement exploitent enfants et Ouïgours, dans les théocraties arabes où le luxe se moque des droits humains, dans les exploitations aux animaux entassés et blessés qui polluent nos cours d’eau, combien disent « c’est que du business » ? C’est certainement ce que devaient se dirent les trafiquants d’êtres humains de ces temps obscurs et ce que continus, hélas, de se répéter comme un mantra leurs actuels sectateurs négationnistes.
Les Basques ont joué un rôle extrêmement mineur dans l’esclavage, voir négligeable au regard de ceux des commerçants protestants et juifs des ports de Bordeaux, La Rochelle et Nantes.
Les principaux négriers furent les Africains eux-mêmes, avec les Arabes Musulmans. Quant à l’esclavage il aura duré davantage en Europe qu’en Afrique, parfois sous le nom de servage jusqu’en 1861 en Russie où un tiers de la population était serve, lorsqu’en Royaume de France, fille aînée de la Sainte Église Catholique, il disparaissait en premier après avoir à peine existé, ce que ne dit pas la propagande républicaine, responsable d’ailleurs de la TERREUR et du premier génocide moderne (de Français) et d’une atrocité méthodique qui inspirera les Bolcheviques, d’autres esclavagistes qui avec leur Goulag feront revivre l’esclavage sous sa forme la plus marxiste avant de l’exporter dans tous les pays communistes jusqu’à nos jours comme en Corée du Nord, en République Populaire de Chine,…
Si la fin du règne de Louis XIII a été entaché par un début traîte négrière, ce qui fût le crime de notre monarchie, c’est bien sous la pression des marchands protestants en concurrence avec les Anglais, toujours protestants et les plus grands esclavagistes européens.
Rappelons que le peuple Français, dans toutes ses composantes, est le moins raciste du monde, le plus généreux, le plus épris de liberté et le plus brave tant qu’il est catholique, c’est à dire fidèle à sa vraie Religion, qui est sa foi, sa naissance, son essence et sa destinée
Bonjour,
Croyez bien que je ne cherche absolument pas à atténuer la responsabilité des basques, des béarnais des armateurs et des banquiers bayonnais. C’est une partie de notre histoire dont j’ai particulièrement honte.
Je voudrais juste attirer votre attention sur un point qui n’est qu’un détail dans cette histoire, mais qui m’interpelle quand même un petit peu :
Savez-vous qu’il se pourrait que l’étymologie du Quartier de “La Négresse” soit totalement erronée ?
Une de mes connaissances, érudit gascon, m’a fait part d’une autre hypothèse : cela pourrait venir du toponyme gascon “lana gresa” qui veut dire “lande argileuse” et se prononce en gascon “lane grèse”.
Il ne serait pas si étonnant que des locuteurs non gascons l’aient transformé ensuite en “La Négresse”.
On a un exemple similaire pas très loin avec le basque “larrun” transformé en “la Rhune”, dont certains auteurs ont peu écrire sans rire que cela venait du fait que son sommet a la forme d’une « ruine », ce qui aurait donné “ La Ruine” puis “La Rhune”. Il y en a même qui ont écrit (toujours sans rire) que ça venait du fait que son sommet a la forme d’une « rune » Viking !
Mais revenons à Biarritz. Imaginons que l’hypothèse “lana gresa” soit la bonne. Il suffirait alors de rétablir l’orthographe du lieu, “harausta” (lieu ou il y a de la poussière, du sable…) en basque, “lana gresa” en gascon, “lane grèse” en français.
Voilà, c’est juste un petit de détail, je le sais. Sans commune mesure avec la dimension de ce qu’a été l’esclavage, même au niveau local. J’en suis tout à fait conscient. Mais je vous avoue que ça me fait cogiter.
Bien cordialement,
Antton
Bonjour Antton,
Nous avons été effectivement informé de cette thèse. Elle vaut ce qu’elle vaut.
Toujours est il que l’usage du nom tel qu’il est écrit et reproduit sur des panneaux, enseignes commerciales et fresques est ouvertement stigmatisant pour les femmes noires.
Revenir au nom basque « harausta » nous semble plus approprié.
Bien cordialement
Patrick
Les Basques ont joué un rôle extrêmement mineur dans l’esclavage, voir négligeable au regard de ceux des commerçants protestants et juifs des ports de Bordeaux, La Rochelle et Nantes.
Les principaux négriers furent les Africains eux-mêmes, avec les Arabes Musulmans. Quant à l’esclavage il aura duré davantage en Europe qu’en Afrique, parfois sous le nom de servage jusqu’en 1861 en Russie où un tiers de la population était serve ou en Irlande contre une population catholique meurtrie jusqu’à son indépendance, lorsqu’en Royaume de France, fille aînée de la Sainte Église Catholique, le servage disparaissait en premier après avoir à peine existé, ce que ne dit pas la propagande républicaine, responsable d’ailleurs de la TERREUR et du premier génocide moderne (de Français surtout catholiques) et d’une atrocité méthodique qui inspirera les Bolcheviques, d’autres esclavagistes qui avec leurs Goulags feront revivre l’esclavage sous sa forme la plus marxiste avant de l’exporter dans tous les pays communistes jusqu’à nos jours comme en Corée du Nord, en République Populaire de Chine,… Autrement plus cruel, meurtrier, injuste que le servage des Tsars.
Si la fin du règne de Louis XIII a été entaché par un début traîte négrière, ce qui fût le crime de notre monarchie, c’est bien sous la pression des marchands protestants en concurrence avec les Anglais, toujours protestants, et les plus grands esclavagistes européens.
Sous Louis XIV, les rares noirs en métropoles étaient libres, à de très rares exceptions esclaves seulement sur le papier ; certains disposaient même de charges honorables comme celles d’officiers, le fils du Roi d’ASSINIE, filleul du Roy ou Abraham HANNIBAL ancêtre de Pouchkine formé à LA FERE avant de devenir général en Chef des Armées de la tsarine Elisabeth qui l’anobliera et lui donnera un domaine avec des serfs, ironie de savoir un « nègre » maître de serfs blancs dans la Russie du milieu du XVIIIeme siècle.
Rappelons que le peuple Français, dans toutes ses composantes, est le moins raciste du monde, le plus généreux, le plus épris de liberté et le plus brave tant qu’il est catholique, c’est à dire fidèle à sa vraie Religion, qui est sa foi, sa naissance, son essence et sa destinée. Si l’esclavage est compatible avec toutes les croyances et hérésies, l’hindouisme, l’islam, le judaïsme, les protestantismes…les croyances matérialistes particulièrement républicaines, marxistes sous sa forme la plus hypocrite, il est absolument incompatible avec le Catholicisme le orthodoxe qui est Vérité !
Bonjour,
Je suis très heureuse aujourd’hui de trouver cet article et ces commentaires me rassurant que je ne suis pas la seule à ressentir le besoin de mémoire , de DEMANDE DE PARDON à l’egard d’un des plus grands crimes contre l’humanité . Je suis de Bayonne ; le fait qu’elle soit « capitale du chocolat » a tjs eu pour moi, uniquement le gout amer du cacao … et de l’histoire de sa provenance…
Lors de voyages, j’ai maintes et maintes fois connecté des mémoires d’esclave africain, en moi…Oui, je sais, cette déclaration peut sembler obscure à bcp d’entre vous…Peu importe…Il m’est essentiel d’honorer ces mémoires, de reconnaître publiquement les offenses , les souffrances ,et qu’il y ait une demande de pardon sincère au nom de tous nos ancêtres qui ont commis ces crimes…Peu importe si « les autres » (Africains, Bordelais, Nantais, Juifs, etc…) en ont commis plus que nos ancetres basques, béarnais, gascons…Nos ancêtres ont collaboré et la « richesse » de Bayonne et de notre région s’est construite aussi avec cette honte pour l’humanité qui nous relie tous…Donc, qui serait partant pour co-organiser avec moi des rassemblements, moments de silence ou prises de parole pour honorer ces mémoires, soulager ces fantômes affamés que l’on nie ? et ainsi participer à soigner l’inconscient collectif qui porte encore le poison de la discrimination? Merci …