Si le président Macron a choisi de refuser la discussion sur le passé colonial, esclavagiste et raciste français, les nouveaux maires des villes concernées par cet héritage ont la responsabilité historique d’entendre les nouvelles mobilisations antiracistes et de mettre en œuvre les politiques d’égalité espérées par les citoyens.
De Bordeaux, 1er port colonial français, à Biarritz affublée d’un quartier ouvertement raciste en passant par La Rochelle dont le profit sur l’esclavage des noirs est attesté, Nantes dont les initiatives municipales pêchent par une verticalité qui empêche la connexion avec les questions de racisme, Le Havre dont la quasi-disparition des traces de l’esclavage ne dispense nullement de gouvernance mémorielle sur une signalétique urbaine qui heurte les consciences contemporaines et enfin Marseille qui vit dans une fausse ignorance de son passé négrier.
Pendant que bruissent les revendications mondiales de justice raciale sur l’espace public, l’élection des nouveaux maires français est une chance de sortir de la gestion lacunaire de ces mémoires et de s’inscrire sur le terrain de la justice.
C’est ainsi que de Minneapolis à Dakar, en passant par le Cap, Abidjan, la Martinique et Bristol, le monde s’interroge sur l’usage du passé et son instrumentalisation dans l’espace public. Des statues sont bousculées, des monuments déboulonnés, des rues renommés et des Etats sommés de répondre à cette colère inédite dans l’histoire contemporaine.
Si les mobilisations du Black Lives Matter ont pris ce tour symbolique c’est que les circonstances historiques et politiques la mort de George Floyd réveillent une pandémie de quatre siècles que les démocraties occidentales peinent à éradiquer. L’agonie de George Floyd est donc ouvertement reliée aux siècles d’oppression raciale et de brutalisation que les noirs subissent indifféremment de leur situation géographique dans le monde et de leur statut social.
En France, quelques semaines après un confinement éprouvant et une année après les violentes répressions policières des manifestations des gilets jaunes, cette contestation sociale s’est cristallisée sur l’Affaire Adama Traoré dont les circonstances de la mort exigent d’être élucidées par de larges pans de la société. Du Comité Adama Traoré mené par sa famille au défenseur des droits Jacques Toubon, en passant par de nombreux témoignages à l’intérieur de la police, s’est faite jour une évidence que le ministre de l’intérieur a été obligé de reconnaitre à demi-mots : le racisme au sein des forces de l’ordre.
Les délits de faciès, les contrôles abusifs, les techniques d’interpellation, l’impunité judiciaire, l’inexistence de traçage des interventions policières et d’organes de contrôles indépendants sont dénoncés comme symptomatiques d’une fracture raciale dans la société française. Une fracture qui entretient le ressentiment et détruit à petit feu le vivre-ensemble.
Ce racisme s’inscrit aussi dans la signalétique urbaine, instrument municipal par excellence pour faire société.
Comment faire société à Biarritz qui affiche ostensiblement, de sa gare à son péage, en passant par sa pharmacie et sa ZAC, l’appellation raciste des femmes noires quand on connait le sort cruel et sadique fait aux femmes dans la plantation esclavagiste, laboratoire du racisme occidental ?
Comment faire société à Bordeaux où les 20 rues de négriers, honorant armateurs et esclavagistes, n’ont toujours pas reçu digne réparation et pédagogie et qu’aucun lieu à la dimension de cette histoire n’en raconte les forces et énergies créatrices ?
Comment faire société à La Rochelle où le Musée du Nouveau Monde noie l’histoire d’un crime contre l’humanité dans une perspective de découverte qui charrie son lot d’exotisme et où les rues de négriers sont ostensiblement affichées dans la capitale charentaise ?
Comment faire société au Havre quant un Musée de l’Armateur vantant le bon gout des négriers est censé raconter le martyr et la résistance des noirs et de leurs descendants pendant que d’autres rues et places honorent des criminels contre l’humanité dont le moindre ne fut pas Jules Masurier, ancien maire enrichi pendant la traite illégale ?
Comment faire société à Nantes quand le Mémorial à l’Abolition de l’esclavage peine encore à raconter les résistances des victimes et que les rues de négriers continuent de véhiculer une symbolique de brutalité et violences ?
Comment faire société à Marseille que l’éloignement de l’Atlantique endort dans une indifférence aux rues honorant les armateurs des quatre-vingts navires qui se sont livrés à la traite des noirs ?
Pour se hisser à la hauteur du renouveau du mouvement antiraciste pour l’égalité, la France a besoin de symboles qui lui rappellent l’incorrigibilité de sa vie tumultueuse, sa quête de justice tout autant que celle de progrès. Et le prix incommensurable qu’elle aura fait payer à l’humanité pour cela.
Donc, oui, il faut que quelques symboles tombent, qu’à Biarritz le quartier revienne à son nom Basque, que des appels à projets dotés de budgets conséquents soient décidés, qu’une Maison contre les Esclavages, intégrant aussi bien celui occidental que celui oriental soit installée à Bordeaux, qu’une rue de négrier soit débaptisée dans chaque ancien port négrier français et que sur les autres symboles restants on appose des panneaux explicatifs
Si pendant une dizaine d’années, nous avons parcouru ces six villes en prêchant dans le désert proposant que réparation du racisme soit faite sur les murs de nos villes et que des panneaux explicatifs soient apposés sur les symboles esclavagistes dans les villes portuaires françaises, c’est pour une pédagogie respectueuse et pour ne pas « mettre la poussière sous le tapis ».
Cependant, si cette solution pédagogique, qui a longtemps paru dérisoire pour beaucoup, nous semble toujours opérante car plus efficace, elle est aujourd’hui dépassée par la virulence de la colère consécutive aux mobilisations du Black Lives Matter.
En dehors de toute diabolisation et de toute victimisation, ces engagements auxquels nous appelons les nouveaux maires ouvriront la voie à une nouvelle écriture mémorielle, une nouvelle respiration, d’autres modes d’inscription sur l’espace public, moins monumentaux et moins écrasants, plus d’espace pour se retrouver et partager les mémoires.
Une nouvelle victoire contre l’oubli pour approfondir l’exigence démocratique contemporaine.
Karfa Sira Diallo
Une réponse
Le devoir de mémoire c’est aussi le devoir d’honnêteté historique; sans tout chambouler il convient en effet d’informer.