Un article du fondateur de Mémoires & Partages en cette journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition.
«Vivre libre ou mourir », c’est par ce serment que des captifs, réunis au Bois Caïman à St-Domingue, préparèrent l’insurrection réussie de la nuit du 22 au 23 août 1791.
Sous la conduite de Toussaint Louverture, ils prennent possession de l’Ile. En quelques semaines les plantations de la colonie la plus riche d’Amérique, « la perle des Antilles », se transforment en un champ de ruine, des milliers de colons sont massacrés. L’appel aux captifs rebelles par le Commissaire Sonthonax pour renforcer les troupes françaises, face aux assauts anglais et espagnols, est assorti de l’abolition de l’esclavage le 29 août 1793, légalisée par le Décret d’abolition de l’esclavage du 16 pluviôse an II (2 février 1794) voté par la Convention étendant l’abolition aux autres colonies françaises. Mais la paix conclue avec l’Angleterre le 25 mars 1802 permet à Napoléon d’entreprendre le rétablissement de l’esclavage dans toutes les colonies françaises des Antilles. Le 29 janvier 1802, une expédition dirigée par le général Leclerc débarque au Cap Français, qui est incendié par les insurgés. Invité par le général Brunet à son quartier général pour y conférer sur la situation générale du pays, Toussaint Louverture est arrêté le 7 juin 1802. Il sera exilé en France et enfermé, sur ordre du 1er consul, au fort de Joux (Doubs) où il meurt le 7 avril 1803.
Cet événement sans précédent dans l’histoire contemporaine constitua la genèse de la nation haïtienne, devenue première république noire en 1804, mais aussi marqua le début de la chaîne des abolitions de l’esclavage du 19ème siècle. Cette insurrection ébranla de façon radicale et irréversible le système esclavagiste.
Le 23 août est donc devenu, depuis 2004, à partir de ces faits de résistance et de libération, sous l’égide de l’UNESCO, Journée Internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition, rendant ainsi hommage au combat inlassable des captifs pour leur libération.
A l’heure où les héritages urbains de l’esclavage refont surface, avec les événements de Charlottesville (USA), il nous a semblé utile de relever des ambiguïtés qui caractérisent le rapport à l’histoire de l’esclavage des noirs.
D’abord, il aura fallu un long chemin et surtout le combat inlassable des diasporas africaines et des sociétés civiles européennes pour faire admettre à la mémoire occidentale la part d’humanité des africains c’est à dire leurs résistances et leurs contributions à la liberté et aux valeurs républicaines. Jusqu’au cent cinquantième anniversaire de l’abolition de l’esclavage (1998), l’Etat français s’auto glorifiait d’avoir mis fin à « l’infâme commerce », omettant le rôle décisif des captifs et surtout l’influence qu’ils eurent dans l’universalisation des droits humains.
Il est vrai que cela n’a guère pesé face aux intérêts économiques pour lesquels la dette de liberté continue de peser sur la France notamment. C’est ainsi que des indemnisations seront octroyées aux esclavagistes en compensation des pertes subies du fait de la liberté des noirs, exigées à Haiti après son indépendance en 1804 et généreusement versées aux colons des Antilles françaises à la suite du décret d’abolition de 1848.
Ensuite, il est manifeste que le passé négrier n’obsède nullement les consciences, malgré les qualifications juridiques et les commémorations. Oublieuses de leur mémoire coloniale et esclavagiste, de nombreuses villes occidentales s’arrachent difficilement de ces siècles où leur fortune s’établissait dans le sang et la sueur des captifs africains et de leurs descendants. Embaumée dans le formol, leur carte postale semble figée dans le passé, dans l’ignorance de l’enjeu démocratique d’une vraie politique de la reconnaissance où l’esthétique repose sur une conscience de ses ombres et lumières. A Bordeaux, Toussaint Louverture est toujours honoré par une impasse (sic !), pendant que les armateurs négriers et esclavagistes trônent au fronton des grandes avenues et boulevards comme autant de mérites et de fiertés.
Il est vrai que les indépendances africaines n’ont pas également conduit à une gouvernance mémorielle plus vertueuse que celle de l’Occident. Aveuglés par l’épopée nationaliste et anticolonialiste de l’après seconde guerre mondiale, les pays subsahariens et maghrébins ont sciemment évité l’évocation des mécanismes de domination et de violences internes au continent, aboutissant à la quasi- inexistence de politiques publiques mémorielles dignes de ce nom.
Enfin, plus que jamais, c’est l’humanisme tout entier qui semble dissonant dans nos sociétés où cohabitent des mondes différents, des représentations à ce point inconciliables qu’on peine à déceler le socle commun, des sociétés que le courage a déserté, incapables de tirer les leçons de leur passé, se complaisant dans une luxueuse et immédiate nostalgie, affreusement datée et abêtissante, indifférentes à la réhabilitation de ceux qui ont été bannis de l’humanité.
Pourtant, en se dressant contre l’esclavage, en abolissant ce privilège indu que le code noir autorisait depuis 1685, en proclamant la liberté générale sur l’Ile de St-Domingue, en défaisant les forces napoléoniennes, en édifiant en Amérique la première République fondée par des descendants de captifs africains, les haïtiens ont jeté les bases d’un nouveau monde où plus jamais l’esclavage ne serait impuni et où Liberté, Egalité et Fraternité sont une réalité pour tous et toutes.
Karfa Diallo, fondateur- directeur de Mémoires & Partages