Mouvement d’éducation populaire à la mémoire partagée depuis 1998

BORDEAUX – BAYONNE – DAKAR – LA ROCHELLE – LE HAVRE – PARIS

Hommage à Hughes Liborel-Pochot, décédé le 8 juillet, parrain de la Fondation et invité du Mémorial en mai 2013

Diapositive5« Hughes Liborel Pochot est donc parti en cette nuit du lundi 8 juillet. Penseur, professionnel du lien et militant exigeant, il nous a accompagné par les aubes étincelantes et les nuits effrayantes. Sur la longue route de la liberté, il a réfléchi, discuté et enrichi notre rapport à la violence de l’Histoire. Il a permis à de nombreuses personnes de comprendre leur identité et de se relier de façon harmonieuse à leur environnement.

Parrain de notre Fondation et invité d’Honneur de la 16ème Edition du Mémorial de la traite des noirs, Hughes Liborel Pochot a présenté le 10 mai dernier une belle Exposition de ces tableaux au sein de l’Hotel de Ville de Bègles. Et, il fera trembler les rives de Garonne de cette voix chaude et énergique dont la résonance nous habite encore.

J’ai eu la chance de l’accompagner dans les derniers mois de son passage sur terre et garde l’image d’un homme qui aura tenu jusqu’au bout au partage et à la fraternité. Nous publions ici un des derniers textes qu’il nous aura confié. » Karfa Sira Diallo, Président de la Fondation

Penser, écrire, être un homme, un nègre aujourd’hui. Hugues LIBOREL-POCHOT (Triangle Doré, Mars 2008)

À tous ceux  qui gardent encore en mémoire, les temps de déportations, de fuites obligées, les temps d’exils et de changements imposés. Aux autres aussi qui se contentent de regarder passivement tous ces départs précipités souvent sans retours.

Il est pour nous, très interpellant que certains Historiens affirment que l’histoire, en général, et celle des hommes en particulier, ne se lirait que dans les documents ou à l’aide de la cartographie. Pourtant, l’histoire, heureusement ou malheureusement et à notre insu, s’est aussi inscrite dans la chair et le sang des hommes. À la fois ces hommes qui auraient vécu cette histoire et aussi ceux qui seront nés de ces premiers. Ainsi, l’histoire se transmettrait-elle comme un héritage génétique. Elle s’apprendrait par la parole  qui circule de bouches en bouches. Les bouches qui se sont tues, celles de nos morts, mais aussi celles qui ont continué à raconter. Le corps humain fut le premier des manuscrits et il reste l’éternel dépositaire de toute l’histoire. Certes, tous ces historiens, pris entre l’omission volontaire et l’oubli  ne le disent pas, ouvertement, explicitement. Mais leurs œuvres, quand elles ont été vénérées généralement par des minorités, des chefs aliénés, assoiffés de pouvoirs, ont fait autant de dégâts et aussi considérables, sinon plus, dans les peuples restés meurtris que les massacres des temps passés qu’elles ont dissimulés. Ces manuels d’histoire à l’usage des enfants et des adolescents surtout, et ce, dans tous les pays du monde portent tant de manques, tant de béances profondes et niées.

La vérité historique, l’historiographie des civilisations, de chaque territoire, de chaque continent, de chaque île, de chaque ville, particulièrement lorsque ces terres ont été  conquises par la haine et dans le sang, ont sombré dans trop de récits uniquement faits à la gloire de guerriers toujours cités comme étant les seuls vainqueurs. Ces textes historiques, aujourd’hui éclairés autrement à la faveur de tous les savoirs accumulés, se révèlent être des pépinières du refoulé pour les historiens, des lieux de refoulements que nous avons collectivement admis. Des refoulements que l’on pourrait qualifier d’originaires et qui continueraient à organiser l’histoire vivante que les générations  actuelles vivent, tentant d’apporter une autre contribution, à l’archéologie de l’histoire (…)

Écrire l’histoire, aujourd’hui, implique absolument d’envisager de l’écrire  autrement.

Écrire pour se sortir du souvenir de tout ce qui obsède : s’en sortir, se distancier.

Écrire pour quitter les formes et les couleurs des créations ordinaires de nos imaginaires de natifs.

Écrire pour revisiter le passé, pour le re-conceptualiser et le reformuler avec tout le vivant de ce que nous sommes aujourd’hui. Écrire pour déplier et étaler la mémoire de la terre qui nous a vu naître, qui nous a enraciné.

Écrire pour rendre cette terre autrement visible dans notre regard actuel et dans celui des autres (…) Penser à rebours n’est pas remonter le temps, mais reprendre l’histoire depuis l’origine, comme si nous y étions, et la raconter autrement, selon nous-même, selon ce que nous vivons aujourd’hui.

Pouvoir exposer nos actualités quant au passé, en regard de ce qui a été dit et écrit de ce même passé, et créer un autre théâtre de la vie des hommes dans la guerre et dans la paix. Que pouvons-nous dire et écrire, des invasions, des génocides, des occupations armées, de l’esclavage et de la traite négrière perpétrés avant nous ? Comment se sortir des sempiternelles répétitions qui fabriquèrent nos idées fixes communes, notamment dans l’histoire coloniale ? Les guerres ont été toujours les mêmes depuis la première d’entre les hommes. C’est avec la même violence intrinsèque que les hommes ont attaqué, exploité, colonisé, se sont protégés, se sont défendus  ou ont été asservis. Il y a une fatalité étale au fond de l’histoire, et il nous faudrait savoir tenir compte de ces forces invariantes qui opposèrent, dans l’histoire et depuis l’origine des temps, ennemis contre ennemis, nous opposeraient les uns aux autres.

Si nous nous arrêtons un moment  à l’esclavage et à la traite négrière qui furent un des épisodes les plus longs et les plus monstrueux de l’histoire de l’humanité, comment dire que le passé des peuples et plus particulièrement celui des opprimés, étendu jusqu’à nous, nous apparaît encore, comme un champ de ruines éternel ? Comment continuer à dire ces vérités sans continuer à en souffrir, nous les Noirs,    nous les  Nègres, suivant les appellations dont on nous affuble ?

Certains pourraient penser  que nous aurions vite fait de transformer le passé négrier de l’humanité en histoire ancienne. Une réflexion plus approfondie sur le temps mis pour abolir l’esclavage dans les différentes parties du monde : 1963 pour l’Arabie  Saoudite, 1980 pour la République Islamique de Mauritanie, alors qu’en France, 1848 avait vu naître les premières abolitions nous fait mieux comprendre le déplacement des différentes formes que prirent les razzias et leurs images véhiculées à travers le monde.

L’esclavage et la traite négrière ont certainement fait quelque chose qu’aucun spécialiste ne peut contester, ils ont changé  le visage humain des continents. Ils ont bouleversé l’économie et la politique de toute la planète depuis les temps où ils ont été mis en pratique activement. L’éternité de l’exploitation des Nègres dans l’histoire s’est inscrite en nous leurs descendants depuis la naissance de cet évènement, au Moyen Age. À partir de cette époque, nous aurions de manière indélébile été marqués par la charge lourde d’avoir été arraché à la terre natale, charge que nous avons caché au fond de nos émotions mystiques. Les déserts, les océans et les mers pourraient en témoigner à notre place. L’endurance des esclaves, durant les traversées, aux travers des maltraitances multipliées, a structuré fortement leur imaginaire animiste, en renforçant la croyance que l’amour et la mort étaient intimement liés dans chaque corps d’esclave qui parvenait à résister. Cette endurance se serait transmise jusqu’à nous.

Nous l’entretenons en travaillant à nous séparer de ces souffrances qui ne sauraient tarir. Ce travail de séparation  ne saurait être fait seulement par ceux qui ont souffert d’un côté, laissant les autres dans leur indifférence. Sinon nous ne pourrions jamais, ensemble, évoquer la notion de notre responsabilité devant l’histoire. Cette responsabilité n’incombe pas uniquement à ceux qui ont fait et écrit, mais aussi à nous tous, contemporains de toutes races et de toutes classes. Nous qui vivons là, avec le présent de la même histoire, qui nous emballe, nous emporte et nous emmêle et qui nous mettrait dans l’impossibilité de dire que, quand nous découvrons un visage noir dans un coin quelconque du monde, nous savons que ce visage est un résultat de l’esclavage et de la traite négrière. Responsables  devant l’histoire, en ce sens, qu’elle nous obligerait d’abord reconnaître les traces de survivance, les traces de leur sang, de leurs cultures que les Africains ont laissées ici ou là, dans toutes les parties du monde où ils ont été réceptionnés. Avec eux, dans ces terres nouvelles, d’autres formes, d’autres énergies ont vu le jour.

Nous les Nègres, et nous préférons de loin cette désignation à toutes les autres, nous qui aujourd’hui avons métier de penser, d’écrire, de reconnaître et d’exiger le respect des droits et devoirs pour tous, nous associons  notre combat à ceux de tous les autres, sans arrières pensées de supériorité ou de vengeance. Nous  revendiquons une citoyenneté à part entière. Nous prenons notre part d’humanité que nous pensons davantage en termes moraux, qu’en termes de réparation et de honte à effacer. Nous adhérons volontiers à l’analyse de Jacques  Attali, qui dans son livre 1492 émet l’idée qu’à cette époque, l’Europe se mourait comme une grande leucémique et que des forces neuves venues d’Afrique l’ont infusée. Ces forces l’ont nourrie et l’ont guérie. D’une certaine manière elles nous nourrissent encore.

Ensemble, travaillons pour que la nourriture soit bonne, meilleure pour tous, aujourd’hui (…) C’est un travail auquel nous tous, les contemporains, nous devons désormais accorder une très grande attention, quelque soit le pays qui nous accueille, quelle que soit notre origine culturelle, quelle que soit notre couleur de peau (…)

Mes attentes ne furent jamais vaines. Homme et homme de ressources, je me suis engagé sur tous les fronts où ces idées étaient la préoccupation première.  Le désir de se battre pour d’autres libertés, pour une seule égalité : le respect de l’autre, pour plus de solidarité, reste vivant. Les propos  que nous tenons, dans ces pages, ne se cantonnent pas à de simples protestations, manifestes, comme il y en a tant aujourd’hui. Ce sont des idées claires que nous avons constatés, expérimentés et dont nous avons longtemps débattu. Nous souhaitons et nous voulons que leur transmission soit, dès aujourd’hui,   assurée d’aller de génération en génération.

Nous y consacrons tout le temps qu’il faut (…) Je la garderai cette africanité (…)

Je pourrais ainsi, encore et encore, parler, dire, comment je me suis distancié de mes origines de descendants d’esclaves. Non que je ne reconnaisse plus que je le suis et que je le resterai mais comment tout ce qui m’a été donné par mes pères, mes pairs, mes frères, m’a permis d’en  faire une autre lecture aujourd’hui. Je souhaite que nous tous, dans nos vies à venir et dans celles de nos enfants, nous prenions le temps de cette relecture et que nous aidions à la faire, ceux qui ne le peuvent encore pas. Il faut continuer à revendiquer, face à l’histoire, pour chacun, chacune, pour tous, pour nous-mêmes, le droit d’être des sujets pensants, toujours.

 

Hugues  LIBOREL-POCHOT Guadeloupéen, Psychologue Clinicien, Psychanalyste, Psychologue Interculturel, Enseignant de Lettres Modernes, Animateur d’ateliers de lecture et d’écriture pour tous les scolaires, pour des étudiants, pour ceux aussi engagés dans le labeur, au quotidien.

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