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MELER NOS PRESENCES PLURIELLES – Discours de Karfa Diallo président de la Fondation,10 mai 2014, Hotel de Ville de Cenon

discoursCenon2014

En choisissant de dédier ces journées de commémoration aux femmes, nous avons voulu marquer notre vigilance quant à la condition de ces êtres sans lesquelles nous ne serons rien mais qu’une culture forgée par les hommes ravale à un statut inférieur.

Monsieur Michel Delpuech, Préfet d’Aquitaine

Monsieur Malick Ndiaye, Ministre-Conseiller du Sénégal

Madame Michèle Delaunay, Député de Gironde

Monsieur Alain David, Maire de Cenon

Monsieur Mbaye Lo Tall, Consul Général du Sénégal à Bordeaux

Monsieur Thomas Wolf, Consul Général des USA à Bordeaux

Monsieur le Consul Général du Maroc,

Monsieur Olivier Dugrip, Recteur de l’Académie de Bordeaux

Chère Madame Axelle Balguerie,

En choisissant de dédier ces journées de commémoration aux femmes, nous avons voulu marquer notre vigilance quant à la condition de ces êtres sans lesquelles nous ne serons rien mais qu’une culture forgée par les hommes ravale à un statut inférieur.

Aujourd’hui encore, des millions de femmes se voient refuser leurs droits fondamentaux et n’ont pas accès à l’éducation, aux services de santé, à la justice et à l’emploi. 125 femmes meurent chaque année sous les coups de la violence de leurs conjoints. Et en France et dans le monde, des centaines de milliers de femmes sont exploités, asservis, prostitués, mis en esclavage. Au nom de la force et du pouvoir, au mépris de la loi et de la morale.

La femme, qu’elle soit noire ou blanche, reste encore dans une condition largement inégalitaire par rapport aux hommes.

Comme pour le commerce et l’esclavage des africains du 16ème au 19ème siècle, c’est l’argument de la force tolérée, ignorée voire justifiée par la loi qui sert d’arme de domination et d’asservissement.

Jamais défaites, jamais soumises, les femmes avancent avec confiance et détermination vers un avenir meilleur qui préserve, promeut et respecte la pluralité et la différence.

Cette différence qu’Haïti (ancienne St-Domingue) a été la premiere à garantir en proclamant son indépendance le 01 janvier 1804. Cette année nous célébrons donc le 210ème anniversaire de la naissance de la première République noire dont la devise est la même que la nôtre : liberté, égalité et fraternité.

Haïti à qui notre région doit tant, Haïti principale destination des navires bordelais, Haïti, la perle des Antilles, la colonie la plus riche d’Amérique, vit, vit dans nos cœurs, dans nos corps et dans nos esprits. Dans l’attente que la France restitue à ce pays la dette de liberté qu’elle l’a obligé à acquitter pour le prix de sa liberté !

Mesdames et Messieurs,

Monsieur le Préfet

Il est impossible de commémorer le souvenir de cette tragédie, de ce combat pour la liberté, en oubliant le ressac qu’une actualité triste et accablante déverse sur nos consciences.

Les 223 jeunes adolescentes promises à l’esclavage et à la vente par une secte barbare aux confins du Nigéria ne peuvent que nous rappeler la précarité de l’existence humaine, les menaces qui pèsent sur nos libertés. Qu’encore une fois, des africains arrachent à leurs familles et à leurs parents des jeunes femmes qu’on fait disparaître sur leur propre continent révèle l’extrême fragilité des Etats africains mais surtout l’insuffisance criante et désespérante d’un travail de mémoire sur l’esclavage et la traite des noirs. Les Etats d’Afrique tardent, aussi, à assumer en actes citoyens et politiques cette violence et cette quête éternelle de liberté, tant et si bien, que la barbarie a tendance à se reproduire infiniment.

Si notre pays peine encore à faire toute sa place à cette histoire qui est aux fondements de notre civilisation, il faut admettre qu’elle a fait du chemin, un long, difficile mais exaltant chemin qui nous mène à cette matinée ici dans le Ville de Cenon. Une ville que je veux remercier. Je me rappelle qu’en 2004, lors du Bicentenaire de la Révolution Haitienne, vous nous aviez reçus ici dans votre ville, cher Alain David avec la même énergie, le même enthousiasme. Je veux vous dire merci !

Parce que sur cette rive de la Garonne, cette rive droite jadis si méprisée, tant ignorée, se lèvent aujourd’hui une jeunesse française consciente de sa diversité, fière de son histoire, de ses ombres et de ses lumières. A l’exemple des élèves du Collége Jean Zay dont les textes témoignent de leur engagement et de leur fraternité. Mais aussi d’Anouk Goulière cette jeune artiste peintre à qui nous devons cette magnifique reproduction du tableau de Delacroix.

Monsieur le Préfet,

Ce 10 mai est aussi particulier d’abord parce qu’il témoigne d’un combat celui de Christiane Taubira. Femme, noire, politique mais surtout humaine. C’est-à-dire désirante et combattante pour un horizon de dignité pour tous. Ce 10 mai est aussi celui où Nelson Mandela accéde à la présidence de l’Afrique du Sud après 27 années de prison.

Ces exemples sont éloquents pour vous dire, pour nous dire, que l’espoir n’est jamais vain. Que les rêves sont précieux. Qu’un rêve de liberté et de justice n’est jamais vain.

Il y a cependant une inquiétude. Cette rumeur qui parcourt l’Europe ne peut nous laisser indifférent à l’heure où nous célébrons notre contribution commune à la liberté et à la prospérité de notre continent.

Dans quelques semaines des représentants d’une politique raciste pourraient entrer en nombre suffisant au Parlement européen pour influer sur ses décisions. Si nous prendrons acte du vote des électeurs, il nous est insupportable de penser que l’Europe où nous vivons et travaillons, dont nous sommes citoyens, puisse être entre les mains de ceux qui veulent une Europe hostile au bien commun, une Europe forteresse et repliée sur elle-même. La perte de sentiment commun d’humanité représente pour nous un danger réel. Il faut combattre une telle perspective avant l’élection.

Aimé Césaire écrivait « Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte». Depuis des siècles, l’Europe est en contact avec des peuples et des cultures d’Afrique, d’Asie et des Amériques.

La longue histoire de la colonisation a profondément affecté ses arts, sa vie sociale et culturelle et ses politiques. La fin des empires coloniaux n’a pas mis un terme aux contacts de cultures. Les migrations (de l’intérieur du continent ou venant d’autres continents), les circulations d’idées, de formes culturelles, de langues, de pratiques et de savoirs font de l’Europe un continent où les processus de créolisation s’accélèrent.

C’est un fait irréversible. Or, les politiques européennes semblent sourdes à cette réalité. Les Roms ciblés. Le contrôle au faciès persistant. L’islamophobie prospérant. Les replis identitaires, nous le savons, conduisent inévitablement à la haine et à la guerre.

Et en cette année du Centenaire de la 1ère guerre mondiale, cette barbarie qui a déchiré notre humanité, il nous faut à minima une vigilance pour protéger et défendre toutes ces présences plurielles et multiples qui ont contribué à la fabrication de l’Europe.

Nous sommes citoyens français. Nous sommes citoyens européens. Nous sommes citoyens du monde. Nous voulons une France, une Europe et une Humanité solidaires qui rassemble les peuples autour d’une vision et d’un intérêt commun, celui du combat contre les discriminations, la xénophobie, l’homophobie, l’islamophobie et le racisme producteur d’inégalités et d’injustice.  Nous ne voulons pas d’une politique de la peur et du repli.

Nous voulons une politique de l’espoir, du dynamisme, et du rassemblement autour du bien commun. Garantissons et promouvons notre héritage pluriel. Résistons à toutes les formes d’exclusion et de discriminations. Edifions d’innovantes solidarités.

Comme celles que chantait le jeune poète bordelais, Jean de la Ville de Miremont, tombé sur le front de la 1ère guerre mondiale le 28 novembre 1914 à Verneuil sur le Chemin des Dames :

La mer vous a rendus à votre destinée,
Au-delà du rivage où s’arrêtent nos pas.
Nous ne pouvions garder vos âmes enchaînées ;
Il vous faut des lointains que je ne connais pas

Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre.
Le souffle qui vous grise emplit mon cœur d’effroi,
Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère,
Car j’ai de grands départs inassouvis en moi.

Karfa Diallo, Discours du 10 mai 2014

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